Parmi les succès de la Belgique spatiale, on retrouve sa participation aux lanceurs Ariane 5 et, ici, Vega. © ESA
Parmi les succès de la Belgique spatiale, on retrouve sa participation aux lanceurs Ariane 5 et, ici, Vega. © ESA

« Faut-il, une Agence spatiale belge ? »

2 octobre 2014
Durée de lecture : 6 min

CARTE BLANCHE

Dr Philippe Mettens
Dr Philippe Mettens

Dr Philippe Mettens,
Président du Comité de direction de BELSPO (Service public fédéral Politique scientifique)

 

La presse a récemment révélé sous la plume de Christian Du Brulle (Daily Science 18 septembre et l’Echo 19 septembre), le contenu du mémorandum de BELGOSPACE, Fédération industrielle du spatial, membre d’Agoria et adressé aux Formateurs du futur Gouvernement fédéral. On y fait allusion, assez classiquement, à une demande d’augmentation des budgets (publics) du spatial. Si cette demande peut sembler ambitieuse dans le contexte budgétaire dans lequel le Gouvernement fédéral évoluera dans les années à venir, c’est le paragraphe de conclusion de la note officielle des industriels qui nous a frappé : « Si (nous soulignons le « si ») une réforme de l’administration est prévue dans le programme du nouveau gouvernement, le moment est aussi venu de revoir la gouvernance du spatial en Belgique, à l’instar par exemple de ce qui s’est fait dans tous les pays européens qui se sont dotés d’une Agence spatiale nationale ».

 

Rappelons que la politique spatiale en Belgique est de compétence fédérale et qu’elle constitue une des plus belles « success stories » industrielle de notre pays. Cette réussite est également, faut-il le rappeler, le fruit des investissements constants mis en œuvre par les pouvoirs publics (BELSPO) qui ont permis, durant 30 ans, de constituer un véritable tissu industriel et scientifique de très haut niveau. De niveau international.

 

Retombées industrielles 4 à 5 fois supérieures au montant investi

 

C’est un magnifique exemple de partenariat public/privé porteur et les retombées industrielles sont considérables puisqu’elles sont de 4 à 5 fois supérieures au montant nominal de l’investissement public. Ainsi, aujourd’hui, plusieurs milliers d’emplois de haute qualification sont directement soutenus via ces 200 millions d’€ en base annuelle investis par la Politique scientifique fédérale qui, depuis les origines, a décidé de faire de l’Agence spatiale européenne (ESA), « son » Agence (nous soulignons le « son »). Une Agence européenne que le Ministre belge, Charles Hanin a même contribué à créer en juillet 1973. Ce choix est donc historique de la part de la Belgique.

 

Grâce à cette organisation et ces budgets fédéraux, la Belgique occupe la 4ième place des Etats membres de l’ESA et la deuxième place lorsqu’on ramène ces budgets au nombre d’habitants (15,9€/hab). Chacun et en particulier les industriels ont toujours loué « l’efficacité » et la « souplesse d’organisation » du Service spatial de BELSPO où le moindre euro investi va… aux activités spatiales en minimisant les coûts de fonctionnement. Rappelons à cet égard qu’à l’instar de toutes les activités de BELSPO, le Service spatial est certifié ISO-9001 ce qui garantit par une évaluation externe – et donc très objectivement – la qualité de son fonctionnement.

 

Alors pourquoi plaider aujourd’hui pour une Agence belge dont les coûts de fonctionnement seraient incontestablement plus élevés et ce, dans un contexte général d’économies dans la fonction publique et de rationalisation au sein de tous les Services Publics Fédéraux ? A fortiori alors que voici quelques semaines et dans son rapport annuel 2013, BELGOSPACE plaidait pour un renforcement de BELSPO.

Approfondissons donc le point de vue des industriels. Citons Patrick Bury, Directeur-général adjoint de Thales Alenia Space (ETCA) à Charleroi dont les propos sont repris dans l’Echo du 19 septembre : « Quand les agences spatiales française, allemande, italienne sont présentes à une négociation, nous ne sommes représentés que par des délégués du Gouvernement belge. Nous avons l’impression d’être relégués dans une autre catégorie d’interlocuteurs ». Sévère. Pertinent ?

 

« C’est le Gouvernement fédéral lui-même qui est responsable de la fragilisation et de l’affaiblissement de la représentation belge à l’ESA »

 

Qu’en est-il en réalité ? Peut-on objectivement comparer le poids de la Belgique (187 millions d’€ de dotation à l’ESA) à celui de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie spatiale qui investissent, respectivement, 747 millions d’€, 773 millions d’€ et 400 millions d’€ ? Constituée en Agence et à budgets constants (c’est à dire inférieurs eu égard aux coûts de fonctionnement que cette Agence génèrerait) on voit mal en quoi ce poids relatif de la Belgique dans ces négociations augmenterait.
Cet argument ne cacherait-il pas autre chose ?

 

Certes, les négociations pour la constitution du futur Gouvernement fédéral inquiètent. On craint pour les économies, les réorganisations administratives. Les industriels du spatial, fidèles et heureux clients de BELSPO, se font donc entendre. Mais en réalité, on oublie une chose essentielle dans ce débat, c’est que c’est le Gouvernement fédéral lui-même qui est responsable de la fragilisation et de l’affaiblissement de la représentation belge à l’ESA, aujourd’hui stigmatisée par les industriels.

 

En effet, en 2003, le Gouvernement a-t-il ainsi décidé de confier à un tiers, extérieur à BELSPO, la direction de la délégation belge à l’ESA. Il l’a confiée à titre de compensation à un fonctionnaire ayant échoué dans les épreuves de sélection organisées dans le cadre de la réforme Copernic. Un parachute doré. Cette personne, (Eric Béka), a donc été nommée « Ambassadeur » (sans passer par la case diplomatie) et « Haut représentant » pour les questions spatiales. Coût : 500.000 €/an (salaire complémentaire, voiture, chauffeur, collaborateurs…). C’est donc elle et elle seule qui est en charge de la représentation de la Belgique à l’ESA et des difficultés qui semblent exister aujourd’hui aux yeux des industriels. Difficultés qui sont d’ailleurs étonnantes quand on voit le poids relatif de la Belgique dans le budget de l’ESA (6% de l’ensemble des dotations des Etats membres). Ajoutons que ce « Haut représentant » plaide de manière ininterrompue et depuis sa nomination, contre vents et marées, pour cette Agence contre laquelle les industriels se sont toujours battus. A cet égard, leur position n’a absolument pas changé.

 

Alors pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain ? Le Service spatial belge et ses collaborateurs, des experts reconnus, agissent avec professionnalisme et efficacité depuis de nombreuses années à la satisfaction de tous, industriels et scientifiques. C’est grâce à leur travail que la Belgique a pu développer une excellence qui fait d’elle un interlocuteur respecté au niveau international. Ne changeons donc pas une organisation qui a prouvé son efficacité au profit d’un nouveau modèle dont on ignore la valeur ajoutée éventuelle et qui sera incontestablement plus coûteuse. Rendons simplement à BELSPO le soin de porter efficacement comme il le fit jadis, les intérêts des scientifiques et des industriels belges à l’ESA.

 

Dr Philippe Mettens,
Président du Comité de direction de BELSPO
(Service public fédéral Politique scientifique)

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