Le 18e siècle espérait vaincre le cancer du sein

4 novembre 2015
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Dans ses «Récits sur le cancer du sein au 18e siècle» de la collection l’Académie en poche , Daniel Droixhe restitue les hésitations, les angoisses et les espérances suscitées par les tentatives de vaincre cette maladie. Par le fer rougi au feu pour extirper la tumeur. Avec la belladone ou la ciguë pour guérir la patiente.

 

«Récits sur le cancer du sein au 18e siècle» , par Daniel Droixhe, collection "l’Académie en poche", VP 5 €, VN 3,99 €.
«Récits sur le cancer du sein au 18e siècle» , par Daniel Droixhe, collection « l’Académie en poche », VP 5 €, VN 3,99 €.

«Ce qu’on appelait cancer au 18e siècle s’inscrivait dans une théorie générale des humeurs du corps humain», explique le professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), chargé de cours honoraire de l’Université de Liège (ULg). «Le cancer est censé toucher en priorité les organes où circule un des liquides humoraux. Tel sera principalement le sein de la femme en raison du lait. Mais les parties génitales de l’homme peuvent aussi être touchées par le cancer, à cause de la liqueur séminale.»

 

La ciguë est le remède privilégié

 

Au 18e siècle, l’École de Vienne se caractérise par l’usage empirique des plantes. Anton Störck concentre ses recherches sur des substances réputées toxiques. En 1760, le jeune médecin prouve, dans sa «Dissertation sur l’usage de la ciguë», que le poison qui a servi à tuer Socrate est un remède très utile pour des maladies dont la guérison a paru impossible.

 

La «Gazette salutaire» écrit en 1761 que Störck «croyait même pouvoir se flatter de triompher du mal le plus cruel et le plus opiniâtre de tous, du cancer, en un mot, qui mène si sûrement et si tristement au tombeau tant de victimes innocentes.»

 

Guérir avec des saignées, purgations, diètes

 

«La découverte suscita dans toute l’Europe enthousiasme et polémiques», relève le membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique. «La machine d’accréditation mise en œuvre en faveur de la ciguë offre un exemple de la manière dont une illusion peut séduire un nombre important de praticiens avant que le doute la sape et que le rejet la relègue au rayon des archives de l’histoire médicale.»

 

Au Siècle des lumières, malades, médecins ou chirurgiens ont le choix entre deux méthodes pour traiter le cancer du sein. La destruction par le scalpel, des substances caustiques, le fer rougi au feu. Ou l’utilisation de substances curatives accompagnées des gestes séculaires: saignée, purgation, diète.

 

Au 17e siècle, des naturalistes anglais signalent que des feuilles de belladone «imposées sur les seins, amollissent, dissolvent et guérissent leurs indurations et même les tumeurs chancreuses.»

 

En 1736, le médecin Johann Juncker, professeur à l’Université de Halle en Allemagne, écrit qu’il a «constaté la vertu admirable des feuilles de belladone dans un cas de cancer véritablement désolant, quand elles sont employées avec une méthode déterminée et à très petites doses.» Mais que ces feuilles «n’ont pas été trouvées aussi fructueuses dans un autre cas.» En définitive, «il serait inopportun de prononcer quoi que ce soit à propos de leur caractère salutaire.» Rapidement les praticiens s’empressent d’expérimenter le remède préconisé par le docteur Störck.

 

Des causes sont cernées

 

La moindre contusion est incriminée parmi les causes possibles d’un cancer du sein. La compression de la poitrine peut aussi être à l’origine de la maladie. Comme une colère, une terreur inopinée, une tristesse profonde.

 

Le chirurgien major français Gilles Le Vacher incrimine les vêtements modernes, insiste sur les effets carcinogènes d’un mode de vie déréglé. Le médecin écossais William Buchan frappe d’anathème les viandes salées, fumées.

 

Les méfaits du tabac pointés dès le 17e siècle

 

Médecin et botaniste, le Britannique John Hill met en garde contre le tabac à priser. Dès le 17e siècle, le médecin allemand Theodor Kerckring dénonce déjà les méfaits de l’herbe à Nicot sur la trachée-artère et les poumons. Avant qu’en 1795, son confrère Samuel Thomas von Sömmering établisse un lien entre la pipe et le cancer des lèvres.

 

Le mot «métastase», le «vagabondage des humeurs», est censé figurer pour la première fois au 18e siècle dans le «Dictionnaire français-latin des termes de médecine et de chirurgie» d’Élie Col de Villars.

 

En 1731, les «Observations de chirurgie» d’Henri François Le Dran marquent une étape significative dans la discrimination entre cancer local et cancer disséminé. La transmission par l’hérédité est invoquée par Friedrich Hoffmann, professeur à l’Université de Halle, dans la mesure où «des maladies dues à un vice des corps solides se transmettent très facilement des parents aux enfants.»

 

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