L’autodiscrimination, un obstacle de plus dans la quête d’un emploi ?

7 juin 2016
par Elise Dubuisson
Durée de lecture : 4 min

Si on parle beaucoup de la discrimination à l’embauche pour les jeunes issus de l’immigration, il reste une dimension encore peu étudiée dans ce domaine : l’intériorisation de la discrimination chez ces jeunes, aussi appelée autodiscrimination.
 
Comment considèrent-ils cette discrimination ? La manière dont ils la perçoivent peut-elle interférer sur leurs chances de trouver un emploi ? “Ces questions n’ayant pas encore été étudiées, nous avons décidé de nous y intéresser”, explique Denis Stokkink, Président fondateur de POUR LA SOLIDARITÉ et co-auteur de cette étude financée par la Fondation Roi Baudouin.
 
« La manière dont les jeunes perçoivent cette discrimination est un élément clé de l’insertion sociale, il est donc important de s’attarder sur ce sujet. »
 
Les deux facettes de la discrimination
 
« Globalement, la discrimination présente deux facettes : d’un côté les comportements discriminatoires de certains employeurs et de l’autre côté, les dispositions psychologiques intériorisées par les demandeurs d’emploi eux-mêmes », explique l’économiste.
 
Pour mieux évaluer cette seconde facette, Denis Stokkink, Sarah Van Doosselaere, Sophie Pinilla et Dimitri Verdonck ont rencontré des chercheurs et des acteurs de terrain tels que des associations d’insertion socioprofessionnelle, des jeunes en recherche d’emploi, des organisations professionnelles ou encore des membres des pouvoirs publics.
 
« Plus précisément, notre étude concerne principalement des jeunes, de 18 à 30 ans, immigrés ou perçus comme tels en Belgique. »
 
Une intériorisation de la discrimination bien présente
 
« Nos résultats montrent que ce phénomène d’intériorisation de la discrimination existe bel et bien et qu’il est lié à plusieurs facteurs : la discrimination qui est constatée sur le terrain par ces jeunes lors des entretiens d’embauche, mais aussi les longues et difficiles procédures de reconnaissance de diplômes, les stéréotypes diffusés par les médias, l’appropriation par les jeunes d’expériences négatives vécues par leur entourage, etc. »
 
Ces travaux permettent également de dresser un autre constat inquiétant : les Belges de deuxième et troisième générations ayant grandi dans un système discriminatoire sont souvent plus démotivés et en retrait de la société que les migrants de première génération.
 
À la clé : des stratégies inconscientes de discrimination
 
Les chercheurs ont également cherché à mieux connaître les conséquences de ce phénomène. Et notamment comment le fait d’intégrer cette discrimination influence la manière dont les jeunes réagissent sur le marché du travail.
 
« Nous avons ainsi observé un phénomène d’exclusion sociale, mais aussi des comportements dont les jeunes n’ont pas forcément conscience : ils développent des stratégies pour éviter d’avoir à affronter un marché de l’emploi ressenti comme hostile. C’est par exemple le cas de jeunes filles qui ne se présenteront pas à un entretien pour un poste technique pour lequel elles ont les diplômes parce que cet emploi est considéré comme un emploi pour les hommes. Leurs compétences n’entrent alors pas en ligne de compte quand elles décident de se présenter ou non. C’est une manière de se protéger et d’éviter de bousculer son estime de soi sans forcément être conscient d’agir de la sorte. »
 
Quelles solutions ?
 
Restait à réfléchir à comment sortir de la crise… Pour ce faire, les chercheurs proposent trois pistes.
 

  1.  Les « modèles », c’est-à-dire, montrer à ces jeunes des modèles d’hommes et de femmes issues de l’immigration qui ont réussi à trouver un travail et à obtenir des postes qui ont plutôt la réputation d’être attribués à des Belges.
  2. Agir au niveau des médias. En effet, dans les journaux télévisés, dans les publicités, dans les débats politiques ou encore dans les séries, les visages de personnes issues de l’immigration sont très rares. Ce qui tend à isoler encore plus cette population qui ne se sent pas représentée dans les médias et donc pas représentative du pays dans lequel elle est pourtant née.
  3. Le « mentorat », une sorte de parrainage dans la recherche d’emploi effectué par des personnes qui travaillent et qui sont passées par le même parcours.

« Nous insistons sur l’intérêt qu’il y a à écouter, à rencontrer et à mettre en valeur le parcours de ces personnes qui, malgré les obstacles, ont rencontré la réussite sur le marché de l’emploi en Belgique. Qui, mieux qu’eux pourraient être entendus par certains jeunes demandeurs d’emploi qui galèrent et intériorisent les discriminations, ainsi que par les autres acteurs de l’insertion socioprofessionnelle ? »
 
« Lutter contre cette autodiscrimination est le travail de toute la société. C’est uniquement en agissant des deux côtés qu’il sera possible de faire bouger les choses », conclut Denis Stokkink.

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