© Y. Beletsky (LCO)/ESO
© Y. Beletsky (LCO)/ESO

Un minuscule « vortex » liégeois pour observer l’infiniment grand

10 janvier 2017
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

Observer directement une planète tellurique qui tourne autour d’une autre étoile que le Soleil: le projet est ambitieux. Une ambition qui ne fait pas peur à l’Observatoire Européen Austral (ESO), qui exploite plusieurs observatoires au Chili, dont le fameux VLT, le « Very Large Telescope ».

Pour relever ce défi, l’ESO peut compter sur l’expertise d’astronomes liégeois. Et en particulier sur les minuscules lentilles en diamant synthétique mises au point par l’équipe du Dr Olivier Absil, astronome à l’ULg et Chercheur qualifié du F.R.S.-FNRS.

Ces petites lentilles doivent améliorer l’acuité visuelle des grands télescopes de l’ESO en… masquant la lumière qu’ils reçoivent. Ce qui semble être un paradoxe!

Diverses méthodes d’observation des exoplanètes

« Jusqu’à présent les exoplanètes tellurique sont détectées de manière indirecte. Soit par la méthode des transits, soit par celle des vitesses radiales », rappelle le Dr Absil.

« En cas de transit, la planète passe devant son étoile et provoque une minuscule éclipse. L’observation de cette petite fluctuation de luminosité permet de déduire la présence d’une exoplanète. Pour la vitesse radiale, c’est la même chose, mais dans ce cas, c’est un léger déplacement de l’étoile qui est observé ». Rappelons que ces méthodes sont d’ailleurs exploitées par d’autres astronomes liégeois avec succès.

Un coronographe pour ne pas être ébloui

L’observation directe par contre est une autre paire de manches. L’éclat de l’étoile est tellement éblouissant que la très faible luminosité de la planète s’y retrouve noyée. D’où l’usage d’un « cache », qui occulte la lumière de l’étoile. Ce cache s’appelle un coronographe. Et c’est cet écran que le Dr Absil met au point au moyen de diamant synthétique.

« L’idée est d’adapter l’instrument VISIR, imageur et spectromètre dans l’infrarouge moyen qui équipe le VLT (Very Large Telescope) au Chili, d’un tel coronographe, de meilleure qualité et d’ainsi d’augmenter ses performances », explique l’astronome.

 

Masque de phase vortex. Le composant fait 1 cm de diamètre. © ULg
Masque de phase vortex. Le composant fait 1 cm de diamètre. © ULg

Le coronographe liégeois a la forme d’une petite pastille transparente en diamant synthétique sur laquelle est gravé un micro-réseau produisant un effet de vortex optique. Taille de la pastille : 1 cm de diamètre à peine ! L’effet Vortex permet de filtrer la lumière dans un matériau transparent.

Nous utilisons du diamant synthétique pour plusieurs raisons, indique le Dr Absil.

  • – Il agit sur la phase de la lumière et non son amplitude. C’est à dire qu’il ne bloque pas la lumière comme un disque opaque mais l’atténue par interférences.
  • – Ceci est utile dans le domaine du visible comme de l’infrarouge, qui est la longueur d’onde qui intéresse dans ce cas les astronomes.
  • – Le diamant est un matériau très résistant , ce qui est indispensable dans ce projet. La pastille doit fonctionner comme coronographe dans un cryostat, un instrument refroidi à 40 degrés Kelvin (- 230 degrés Celsius!).

Trois grands télescopes dans le monde déjà équipés de la technologie VORTEX

Ce dispositif n’est pas une première pour l’ULg. Des coronographes similaires développés à Liège équipent déjà trois des plus grands télescopes du monde : le télescope Keck à Hawaii, le Large Binocular Telescope en Arizona et le VLT au Chili. Cependant la nouvelle version développée pour VISIR, dans le cadre de cet accord avec Breakthrough Initiatives, sera d’un niveau de performance inégalé.

 

Vue, au microscope électronique, de la partie centrale du masque de phase vortex actuellement installé au VLT sur l'instrument VISIR, livré par l’ULg en 2012. Dans le cadre du projet Breakthrough, l’ULg va en livrer une nouvelle version nettement plus performante. © ULg
Vue, au microscope électronique, de la partie centrale du masque de phase vortex actuellement installé au VLT sur l’instrument VISIR, livré par l’ULg en 2012. Dans le cadre du projet Breakthrough, l’ULg va en livrer une nouvelle version nettement plus performante. © ULg (Cliquer pour agrandir)

The Breakthrough Initiatives est un programme d’exploration scientifique et technologique conçu en 2015 par l’investisseur Internet et le philanthrope scientifique Yuri Milner dans le but d’explorer l’Univers, de rechercher les preuves scientifiques de l’existence de vie extraterrestre et d’encourager le débat public à l’échelle planétaire.

Une expertise liégeoise construite grâce à une bourse européenne

L’ESO vient de signer un partenariat dans le cadre de ce projet avec The Breakthrough Initiatives. L’accord prévoit le financement des modifications à apporter à l’instrument VISIR (Imageur et Spectromètre du VLT dans l’infrarouge moyen) sur le Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, afin de considérablement augmenter sa capacité à détecter de potentielles planètes habitables autour d’Alpha Centauri, le système stellaire le plus proche de la Terre. Une partie de cet argent viendra directement financer les développements liégeois.

Ces développements technologiques sont également menés dans le cadre de l’ERC Starting Grant, une bourse de 1,5 M€ du Conseil européen de la Recherche, octroyée à Olivier Absil pour son projet de développement de vortex optiques en diamant synthétique afin d’améliorer la détection d’exoplanètes.

Des observations dans l’infrarouge

Effectuer les observations dans l’infrarouge moyen, où l’émission thermique de la planète en orbite réduit considérablement l’écart de luminosité entre cette planète et son étoile hôte, facilite cette tâche.

Toutefois, même dans l’infrarouge moyen, l’étoile affiche une luminosité des millions de fois supérieure à celle des planètes à détecter. S’ensuit la nécessité d’employer une technique permettant de réduire l’aveuglement généré par la lumière stellaire.

 

Identifier des exoplanètes avant de leur rendre visite

Pourquoi tenter ce genre d’observations du côté d’Alpha du Centaure? « Parce que les planètes qui s’y trouvent pourraient constituer les cibles d’éventuelles missions spatiales à venir avec des sondes miniatures lancées dans le cadre de l’initiative Breakthrough Starshot, une autre programme de Breakthrough Initiatives, lancé en avril 2016. Son but: démontrer la validité du concept de “nanocraft” ultra-rapide propulsé par la lumière. », précise l’ESO.

Après les avoir observées, les exoplanètes les plus proches de la Terre (situées à 4 années-lumière du Soleil tout de même…) pourraient bien recevoir la visite des vaisseaux automatique terriens.

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