© Romana Klee

La grammaire est enseignée trop tôt

10 mars 2016
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Il y a grammaire et grammaire" par Marc Wilmet aux éditions Académie Royale de Belgique - VP 5 €, VN 3,99 €.
« Il y a grammaire et grammaire » par Marc Wilmet aux éditions Académie Royale de Belgique – VP 5 €, VN 3,99 €.

La grammaire traditionnelle enseignée à l’école primaire est mal aimée par Marc Wilmet. Le linguiste a exposé ses griefs lors d’une conférence publique au Collège Belgique. Il les édite sous le titre «Il y a grammaire et grammaire» aux éditions Académie Royale de Belgique, collection L’Académie en poche.
 
«Les hantises orthographiques propres à notre culture ont perverti l’enseignement grammatical», soutient le professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
 
«Pour réaliser les accords, fallait-il vraiment définir un nom et un verbe, un pronom et un adverbe…, dévider des compléments circonstanciels et des subordonnées en pagaille? Quel intérêt de ramifier au titre de petits compagnons du nom des adjectifs et des déterminants, des démonstratifs et des possessifs, des qualificatifs et des indéfinis…? Malheureusement, les rares pédagogues à plaider la révolution ne sont pas suivis et le jeu de dupes se perpétue
 
Les accords des participes passés sont contestables
 
Marc Wilmet s’en prend à «la fièvre classificatrice» du grammairien Maurice Grevisse et de l’académicien André Goose, auteurs du «Bon Usage». Déstabilise l’échafaudage des natures et des fonctions chères à l’analyse grammaticale. Réduit les modes de la conjugaison. Dénonce les arcanes des accords des participes passés qui l’ont déjà fait descendre dans l’arène orthographique en 1999 avec son livre «Le participe passé autrement».
 
Le membre de l’Académie royale de langue et de littérature française sursaute à l’accord obligé d’un participe passé que le champion du monde d’orthographe a glissé dans une dictée mijotée pour soutenir la recherche contre le cancer à l’Institut Bordet.
 
Les concurrents de tous âges devaient écrire: «Combien de télescopes, de caméscopes et de longues-vues se sont ainsi approprié le ciel, de l’horizon au zénith?».
 
Ils s’échinent sur la terminaison du participe passé «approprié». Une avalanche de masculins pluriels déferle. C’est une erreur gênante d’accord d’un participe passé de verbe pronominal selon le champion du monde Bruno Dewaele. De son côté, Marc Wilmet juge que «les coupables auraient mérité les félicitations du jury». Le linguiste avance la thèse que le participe passé cherche constamment à s’accorder, en genre et en nombre, avec le nom auquel il se rapporte. Comme n’importe quel adjectif.
 
Contrairement aux diktats de la grammaire scolaire, la phrase «Pierre et Marie se sont plu à la fête» devrait pouvoir se transcrire de deux manières.
 
«Mais les grammaires excluent tout participe passé féminin ou pluriel. Et tancent les nombreux transgresseurs sous prétexte que les verbes plaire, déplaire, complaire, rire, ne peuvent jamais avoir d’objet direct. Le pont aux ânes de l’accord du participe passé suivi d’un infinitif est la plus artificielle et la plus coûteuse en temps des règles concoctées par l’école. Les grammairiens classiques prêchaient la liberté. Ou prônaient carrément l’invariabilité
 
La grammaire a sa place dans les classes supérieures du secondaire
 
Les accords des participes passés dépassent la compréhension des jeunes élèves…
 
«A-t-on réfléchi à la somme d’érudition grammaticale ainsi mobilisée? La grammaire est enseignée trop tôt. Le drame, sous nos latitudes, elle ne l’est pas assez tard. La compétence logique ne s’acquiert selon Piaget que vers l’adolescence, à l’âge, précisément, où tous les pays du monde entament à l’école la réflexion sur la langue. Alors que nos professeurs de français s’empressent, eux de la délaisser en faveur de la littérature
 
«Pourquoi priver les élèves d’informations enrichissantes sur l’outil extraordinaire qu’est le langage humain? Une grammaire proprement spéculative a sa place dans les classes supérieures des lycées. Elle entraînerait à la méthode, au jeu, à l’écriture inventive, au pastiche…, contribuerait au maniement déculpabilisé du français écrit, du français parlé
 
Lauréat du Prix Francqui, le docteur honoris causa des Universités d’Uppsala et de Paris-Sorbonne indique des thématiques pour introduire cette grammaire d’un nouveau genre. Comme revisiter la grammaire scolaire, les natures et les fonctions. Ou l’analyse des phrases. Pour les natures des mots, le linguiste a déjà proposé de les réduire à quatre: le nom, l’adjectif, le verbe, le connectif réunissant les prépositions et les conjonctions.
 

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