Les collapsologues échouent à motiver les citoyens

11 septembre 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Série (2/4) « La transition sur le grill »

À l’échelle de la rue, du quartier, de la commune voire même de la cité, des citoyens développent collectivement une monnaie alternative, une épicerie collaborative, une coopérative énergétique, un Repair café, un potager collectif, un GAC (Groupement d’Achat Commun) ou encore un SEL (système d’échange local). À quels besoins tentent-ils de répondre au travers de leur participation dans ces projets collectifs de transition sociétale? Robin Hublart et Bénédicte Shoonbroodt, chercheurs et sociologues à la Haute Ecole Libre Mosane (HELMo), ont mené l’enquête.

Dans le cadre de leur recherche sur les initiatives citoyennes de transition, réalisée entre 2016 et 2019, ils ont questionné 105 citoyens en transition et sondé leurs motivations. Sous forme de questions ouvertes, pour ne pas influencer leurs réponses.

À la quête de sens, de cohérence et d’épanouissement personnel

Cinq grandes catégories de motivations non exclusives l’une de l’autre ont émergé. Quête de sens et construction d’une autre société. Voilà comment on pourrait résumer les deux premières catégories, celles qui reviennent dans le discours d’une large majorité.

« De nombreux citoyens cherchent dans la transition citoyenne à rencontrer leurs besoins de donner du sens à leur vie et de la cohérence entre leurs valeurs et leurs actions. Mais aussi de se sentir utiles, de s’impliquer concrètement pour éviter la déprime et le fatalisme ambiant, ainsi que de créer des relations avec leurs voisins », explique Robin Hublart.

Ils sont aussi à la recherche d’équilibre et d’épanouissement, parce que « s’investir dans des projets locaux rend les gens heureux, est gratifiant et donne de l’énergie », exprime un répondant.

Bâtir un nouveau projet sociétal à l’opposé de l’actuel

La deuxième catégorie exprime, quant à elle, le désir de participer à la construction d’un nouveau monde via des projets locaux. « Ce nouveau projet sociétal serait fondé sur un fonctionnement global et une façon de vivre et de consommer à l’opposé des principes directeurs actuels de nos sociétés », précise le sociologue.

Ces citoyens sont particulièrement motivés par, en reprenant leurs mots, « la possibilité qu’offrirait la transition de changer le système de surconsommation dans lequel nous sommes enfermés ». Ils souhaitent un système plus respectueux de l’humain et de la vie sur Terre. Ils visent un fonctionnement global résilient, équitable et cohérent avec les ressources limitées de la planète, basé sur les liens sociaux et la production locale.

Générations futures, écologie et action collective

Vient ensuite, pour presque moitié moins de citoyens en transition que les deux premières catégories, celle des motivations directement liées à la préoccupation pour les générations futures et au souci de protection de l’environnement en diminuant la destruction de la planète. Puis la catégorie, avec un score similaire, agrégeant des volontés plus militantes au travers desquelles s’expriment des motivations pour l’engagement collectif dans la lutte ainsi que la recréation de solidarités et de collectifs à même d’infléchir le cours des choses.

« Le désir de ces citoyens de passer à l’action collectivement s’inscrit dans la lignée de la majorité mue par la volonté de construire un nouveau projet sociétal. Mais ils s’en distinguent par un militantisme aux dimensions plus proches des traditions des mouvements sociaux et révolutionnaires des années 60 et 70, lesquels structuraient la collectivité pour créer des rapports de force avec l’ordre et le pouvoir établi », précise le sociologue.

Les discours alarmistes ne poussent pas les citoyens à s’engager

Une minorité, à peine 4 % du panel interrogé, se retrousse les manches par crainte du futur, pour préparer et atténuer les chocs à venir, tels que la fin du pétrole bon marché.

Dès lors, comme interrogeait récemment le journaliste Jean-Baptiste Malet, agiter la peur de l’effondrement de nos sociétés est-il une façon adéquate de motiver les populations et leurs dirigeants à lutter contre les dommages causés à l’environnement ?

« Les résultats de l’enquête montrent que « la peur de l’effondrement » ou la volonté de l’empêcher ne font pas partie, sinon de manière marginale, des motivations intrinsèques des personnes qui rejoignent les initiatives locales de transition citoyenne, et donc des stimuli à leur engagement dans le changement. En tentant, par des discours alarmistes autour de l’effondrement de la civilisation, de mobiliser les citoyens dans le changement, les collapsologues ratent leur objectif », analyse Robin Hublart.

Et d’ajouter, « dès lors que les motivations des citoyens à s’engager dans le changement sont avant tout sous-tendues par une quête de bien-être, par des utopies et par des visions positives de l’avenir, la collapsologie pourrait même avoir un effet contre-productif en matière de mobilisation. »

Un effet contre-productif en matière de mobilisation

En quatre ans, depuis le succès de leur premier livre, le discours apocalyptique de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens a fait florès. Les deux collapsologues n’ont de cesse d’évoquer dans les médias la catastrophe environnementale en marche et d’engager leur public à construire une arche de Noé providentielle. Mais à force d’entendre que « tout va s’effondrer », nombreux, dépités, en reste les bras ballants.

«  La peur suscite surtout des réactions psychologiques de défense et de protection de l’état psychique chez les individus telles que le déni, la fuite ou l’oubli. À l’inverse, se mobiliser suggère d’adopter des réactions offensives face à une situation problématique avec la conviction de pouvoir l’influencer positivement, ne serait-ce qu’un peu, collectivement ou individuellement. »

« L’issue pour le moins fatale que présente l’effondrement de notre civilisation ne peut donc que conduire au constat rationnel d’impuissance. Celui-ci est à l’antipode des facteurs de motivation des citoyens qui rejoignent la transition écologique et les combats en ce sens », conclut le chercheur.

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