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La forêt de demain pousse à Marche-les-Dames

12 juillet 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 7 min

Série (5/5) : « Auprès de mon arbre… »

Pour un saut dans le futur, rendez-vous au lieu-dit de la patte-d’oie. La forêt de Marche-les-Dames présente en effet les atours de la forêt diversifiée qui se rencontrera largement demain. Car le temps de la monoculture forestière est révolu. Les épicéas, sauvagement décimés l’an dernier par une invasion de scolytes, ne diront pas le contraire. Les changements climatiques se font d’ores et déjà sentir dans nos forêts. Et les attaques de pathogènes n’en sont qu’un volet. En espérant limiter la casse dans les prochaines décennies, des chercheurs et des gestionnaires forestiers se tournent désormais vers la forêt mélangée, assurée en grande partie par une régénération naturelle.

La forêt domaniale de Marche-les-Dames est une zone Natura 2000. Ici, les espèces exotiques sont interdites. Le chêne rouge ? Le châtaignier ? Ces essences ne sont pas les bienvenues. « On ne travaille qu’avec des espèces indigènes », explique Xavier Vandevyvre, agent du DNF et gestionnaire de la forêt de Marche-les-Dames. « De plus, on ne peut pas introduire de résineux là où il n’y en avait pas précédemment. » Honneur est fait aux feuillus bien de chez nous.

Une sélection génétique naturelle

La nature a horreur du vide. L’espace laissé par un arbre prélevé est vite comblé par l’action de la régénération naturelle. C’est la meilleure façon pour voir s’installer des successeurs aptes à survivre aux changements climatiques. Un arbre sur pied produit des centaines de milliers de graines. Ayant lui-même survécu aux aléas climatiques, il a donc déjà été sélectionné génétiquement. Par la suite, les plantules issues de la germination de ses graines se livreront une concurrence entre elles et avec les plantules d’autres espèces. Les meilleures, les plus aptes, parviendront à entamer leur croissance. A la survenue d’une sécheresse, une nouvelle sélection naturelle s’opérera.

Cellule en régénération spontanée dans la forêt de Marche-les-Dames. © Laetitia Theunis
Cellule en régénération spontanée dans la forêt de Marche-les-Dames. © Laetitia Theunis

«  On mise donc sur une sélection génétique naturelle et de temps à autre, on introduira une espèce différente, contrôlée, par petites touches», précise Hugues Claessens, professeur d’écologie forestière et de gestion des ressources forestières au sein du département BIOSE (Biosystem Engineering) dans le centre de recherches TERRA à Gembloux Agro-Bio Tech.

L’alisier torminal, un bon candidat par rapport aux changements climatiques

C’est ainsi que dans une clairière, des arbrisseaux en ligne sont entourés d’un grillage les mettant à l’abri de l’appétit des cervidés. Ce sont des alisiers torminaux, des arbres appartenant au genre des sorbiers.« Cette essence, c’est le Graal des propriétaires forestiers, raconte Hugues Claessens.Il y a quelques dizaines d’années, les comptoirs des banques suisses étaient fabriqués avec ce bois doté d’un beau grain. Du coup, les riches en ont voulu. C’est un arbre qui s’est vendu à des prix de fou. »

Si aujourd’hui, la mode est passée, l’espèce demeure très intéressante. En effet,  elle est méridionale, a sa limite de dispersion en Belgique et on ne lui connaît pas encore de pathogènes. « On sait bien que le climat va lui devenir de plus en plus favorable, poursuit-il.C’est pourquoi beaucoup de gestionnaires forestiers installent des petites cellules d’adaptation progressive de la forêt, comme c’est le cas ici. » Celle de Marche-les-Dames a été plantée en 2005.

Plantation d'alisiers dans forêt de Marche-les-Dames © Laetitia Theunis
Plantation d’alisiers dans forêt de Marche-les-Dames © Laetitia Theunis

Le hêtre, arbre en voie de disparition

Parmi les jeunes alisiers, un merisier pousse bien droit. Aussi appelé cerisier sauvage, il produit un bois de qualité pour de la menuiserie de haut niveau. Jadis, son prix de vente a été très élevé, peut-être qu’un nouveau marché prometteur s’ouvrira à l’avenir. Dans les trouées d’enrichissement, on peut compter sur l’établissement naturel de cette espèce indigène.  Tout comme sur le bouleau verruqueux et le bouleau pubescent qui pousse préférentiellement en haute Ardenne. Tous deux sont des colonisateurs faciles dès qu’il y a une mise à blanc. Ou peut compter aussi sur l’érable, le chêne et le charme.

Quid du hêtre ?  Il est en train de disparaître de nos forêts. Le climat ne lui convient plus et cela va aller en s’empirant. Dans sa  thèse de doctorat, Nicolas Latte, désormais assistant de recherche en gestion des ressources forestières à Gembloux Agro-Bio Tech, a montré que, parmi les feuillus, le hêtre est une des espèces les plus sensibles aux changements climatiques. « C’est une essence qui ne supporte pas trop ni les sécheresses ni les canicules. Et quand ces deux événements ont lieu ensemble, c’est la catastrophe. 

Le changement climatique, favorable au tilleul

Par contre, le tilleul à petites feuilles tire clairement son épingle du jeu. « J’ai pu montrer que cette essence n’a pas du tout été impactée par le changement climatique ces 50 dernières années,  son accroissement est stable. Ses réactions au climat sont stables aussi. Le tilleul  a même tendance à s’améliorer, à « profiter » légèrement du changement climatique », poursuit-il. Bien qu’affectée par les années sèches, la croissance du tilleul à petites feuilles se restaure immédiatement l’année suivante. Cela s’expliquerait par un enracinement capable de mobiliser des ressources en eau dans les profondeurs du sol et les failles de la roche. Mais aussi par sa capacité à limiter sa transpiration pendant les journées trop chaudes, réduisant les pertes d’eau et évitant le dessèchement de ses tissus.

« Peut-être devra-t-on planter des tilleuls car cette essence est trop peu représentée dans la forêt actuelle. Mais avoir toutes les autres espèces sous la main, qui vont repartir en semis naturel, c’est une manière de s’adapter aux changements», dit Hugues Claessens.

Diversifiée, la forêt tient mieux le coup en cas de sécheresse

Voilà un an que Xavier Vandevyvre s’occupe de la forêt de Marche-les-Dames. Son prédécesseur a veillé de longue date à diversifier la forêt. Cesarbres en mélange ont-ils mieux résisté aux événements climatiques de ces dernières années ? « Oui, assure Hugues Claessens, quand il y a des coups de sécheresse on voit clairement ceux qui souffrent et ceux qui tiennent le coup. En 2018, c’était frappant. Le fait d’être dans une forêt diversifiée, ça limite la casse. »

Pour l’expliquer, plusieurs aspects entrent en compte. Le premier est écologique. Il s’agit de l’enracinement, différent selon les espèces, comme l’explique Nicolas Latte, en prenant deux espèces emblématiques en exemple :

Ensuite, les feuilles des différentes essences ne se décomposent pas à la même vitesse. En tombant sur le sol, elles forment la litière forestière. Celle-ci se transforme en humus riche en matières minérales au fur et à mesure que les feuilles se décomposent. Mais celles du hêtre prennent énormément de temps. Il faut compter environ deux ans avant que les minéraux qu’elles contiennent ne repartent dans le sol et puissent être utilisés par les arbres. Au contraire, le feuillage du bouleau se décompose très vite. Il redynamise donc beaucoup plus rapidement le cycle du sol. En cumulant ces deux particularités, les forêts mélangées sont en quelque sorte des forêts mieux nourries.

Moins de risque d’attaque de pathogènes

Aussi, les forêts mélangées donnent du fil à retordre aux pathogènes et diluent par là le risque de maladie. Prenons d’abord un contre-exemple : dans les monocultures d’épicéas, les scolytes sont à la fête. Trouver des arbres à grignoter est si facile, tous les voisins conviennent. Dans ces conditions, le nombre d’insectes ravageurs, même au départ d’un petit foyer, grimpe rapidement de façon exponentielle. Au contraire, dans les forêts mélangées, trouver un arbre hôte est bien plus difficile. Imaginons un pathogène du chêne, si son espèce fétiche est dispersée parmi des hêtres et des bouleaux, il la trouve moins facilement et finit par se perdre et se faire dévorer.

A l’avenir, il est à craindre que de nouveaux pathogènes arrivent en Belgique. Mais on ne sait ni quelle essence sera menacée ni quand cela arrivera. « Face à cette incertitude, la meilleure solution pour le forestier est de diversifier le plus possible », assure Nicolas Latte. Cela semble être un pari de bon sens face à un avenir climatique incertain.

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