Les chercheurs de l’UMons barbotent en microgravité

15 novembre 2018
par Marie Thieffry
Durée de lecture : 5 min

« Pas besoin d’aller dans l’espace pour être en apesanteur ! Avec un avion de ligne des plus communs, on arrive aujourd’hui à reproduire ses effets… » Stéphane Waeyenbergh, chercheur du Laboratoire de physique des surfaces et interfaces (LPSI) de l’UMons, vient de participer à la 70e campagne de vols paraboliques organisée par l’Agence spatiale européenne (ESA) et Novespace. Un vol toutefois quand même un peu « spatial »! Au commande de l’appareil, un des quatre pilotes n’était autre que l’astronaute français de l’ESA, Thomas Pesquet (photo en tête d’article).

Avec Mohamed Amin Ali, doctorant, ils ont participé depuis l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, en France, à 31 phases de microgravité. À bord de l’ancien Airbus A310 d’Angela Merkel, recyclé en outil d’expérimentation scientifique, les deux Montois ont étudié les mécanismes de condensation de l’eau. Objectif : comprendre les effets de la mouillabilité de surface en microgravité. Développements industriels, applications spatiales, accessibilité de l’eau en zones arides: les débouchés sont multiples.

L'Airbus de Novespace utilisé pour les vols paraboliques est basé à Bordeaux.
L’Airbus de Novespace utilisé pour les vols paraboliques est basé à Bordeaux.

Une expérimentation atypique

« Etudier les phénomènes de condensation dans notre laboratoire est limité. Nos ambitions s’arrêtent à la gravité qui limite la taille des gouttes étudiées », explique Mohamed Amin Ali. « Pour nous en affranchir, nous avons développé un équipement de condensation avec analyses d’images afin de réaliser une série d’expériences lors d’un vol parabolique ».

Dans un premier temps, les chercheurs ont passé beaucoup de temps au sol. D’abord pour: vérifier que leur projet, conçu pendant un an, fonctionnerait bien dans les airs. Dix jours de tests et de vérifications ont été nécessaires. « La veille du décollage, on nous dit de ne pas faire la fête et surtout de bien dormir… Impossible ! On était trop excités à l’idée de participer à un tel vol », sourit Mohamed. Six campagnes de vols paraboliques sont organisées annuellement par l’ESA, l’Agence spatiale européenne.

« Le milieu est très restreint et les places sont chères », confirme Emmanuel Gosselin qui encadre la recherche dans le laboratoire montois aux côtés du professeur Joël De Coninck. « Il faut respecter énormément de normes de sécurité. La machine d’observation que nous avons construite devait remplir un cahier des charges extrêmement minutieux ».

22 secondes de microgravité au sommet de la “cloche”

Entièrement vidé de ses sièges, ceux de l’équipage exceptés, l’intérieur de l’A310 est intégralement capitonné. « Tout est recouvert de mousse, explique Stéphane. Pendant la phase de microgravité, tout ce qui n’est pas vissé au sol…s’envole. Gare aux petits écrous ou agrafes mal accrochés… On pourrait les respirer ou se les prendre dans l’œil ! »

Parti de Bordeaux pour survoler l’Atlantique, l’avion vole plus de trois heures au total. C’est au-dessus de l’océan qu’il réalise ses successions de trajectoires paraboliques, chacune d’elles d’une durée de 22 secondes. « On monte, puis l’avion amorce une courbe…et fait une chute libre, exactement comme lorsqu’on lance une balle en l’air et qu’elle fait une cloche », détaille Stéphane Waeyenbergh. « Pendant la phase montante, notre corps pèse pendant les vingt premières secondes 1,8 fois son poids. Vient ensuite la phase de microgravité de 22 secondes. Puis il retrouve son état de départ, avant de recommencer… Trente fois en tout ».

L’oreille interne joue des tours au cerveau

Pour le voyage, la condition physique importe. Les voyageurs ont passé un test cardiaque avant le voyage. « C’est éprouvant pour le corps, rapporte Mohamed. Mais le pire, c’est d’être malade. Car dans les airs, nous n’avons plus de repères. Le haut, le bas… De manière surprenante, le cerveau s’adapte en une seconde à ces changements. Mais pas l’oreille interne. C’est elle qui assure notre équilibre. Si on tourne la tête dans ce milieu capitonné, l’oreille envoie un message contradictoire de ceux des yeux. La nausée peut alors très vite arriver… »

Pour éviter de transformer l’avion en « vomitorium », surnom donné par ces explorateurs de la microgravité, les chercheurs se voient injecter une dose de scopolamine, un médicament habituellement donné en gériatrie. Un de ses effets secondaires ? « Déconnecter l’oreille interne, décrypte Emmanuel. Capital pour ne pas vomir, l’avion ayant tout de même le nez vers le bas à 45 degrés… »

Le médicament fait « planer » les chercheurs, dans tous les sens du terme… « La scopolamine nous plonge dans un état béat pendant une bonne heure, sourit Stéphane. Pas facile de se rappeler de toutes les manipulations à faire avant le décollage… Du coup, on se prévoit une liste très détaillée pour tout bien vérifier avant de partir ».

À l’intérieur de l’avion, quarante chercheurs aux expériences variées peuvent prendre place. « Certains étudiaient la respiration des épinards, d’autres les effets de la gravité sur les articulations…Tout cela dans un temps cumulé de 45 minutes. C’est très stressant, car il faut aller vite et ne pas se rater ! » pointe Mohamed.

600 gigabytes de données à digérer

Résultat de cette campagne pour les chercheurs montois: 600 gigabytes de données récoltées qu’il va falloir maintenant étudier. « Nous avons cumulé beaucoup d’éléments, se réjouit Stéphane. Vu la quantité, nous n’allons pas étudier chaque goutte d’eau une à une… » La prochaine étape passera par le développement des logiciels pour analyser les données de manière systématique. Avant un autre vol parabolique? « Pour avoir un point de comparaison entre plusieurs types de vapeurs, il serait bon d’y retourner » se projette déjà Stéphane…

L'équipe montoise, dans l'Airbus "Zéro G", et son expérience boulonnée au sol de la cabine. © UMons.
L’équipe montoise, dans l’Airbus “Zéro G”, et son expérience boulonnée au sol de la cabine. © UMons.
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