L’agriculture urbaine devrait couvrir 30% des besoins alimentaires bruxellois d’ici 2035

16 décembre 2015
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Ce jeudi, le gouvernement bruxellois devrait avaliser sa nouvelle stratégie alimentaire. En ligne de mire: l’agriculture urbaine. « Les objectifs sont ambitieux », souligne l’ingénieur agronome Stéphane Vanwijnsberghe, conseiller de la Ministre bruxelloise Céline Fremault, en charge notamment de l’environnement. Mardi à Gembloux, lors du colloque organisé par Greenwal sur l’agriculture urbaine, il a brossé les grands traits de cette stratégie.

 

« Le but est d’arriver à produire 5% des besoins alimentaires en fruits et légumes de la population d’ici 2020, au sein même de la Région de Bruxelles-Capitale. Et de porter ce pourcentage à 30 % des besoins bruxellois en 2035 ».

 
Maraîchage et potagers urbains

 

Le maraîchage est la piste privilégiée. Les potagers urbains collectifs seront ainsi un des moyens soutenus par le gouvernement bruxellois pour arriver à ces objectifs. Les agriculteurs actifs à Bruxelles devraient également assurer une partie de cette production. Les agriculteurs bruxellois? « Ils sont sept actuellement, à avoir le siège de leur exploitation situé en Région », précise Stéphane Vanwijnsberghe. « Ils exploitent, avec 24 autres agriculteurs basés en périphérie, les quelque 200 hectares de terres agricoles bruxelloises ».

 
L’agriculture urbaine, une utopie? En Wallonie également, l’idée séduit. « L’agriculture urbaine, cela signifie produire, transformer et distribuer en ville. Bref, c’est favoriser le circuit court », rappelle le Pr Haïssam Jijakli, responsable du Laboratoire de phytopathologie intégrée et urbaine à Gembloux AGro-Bio Tech (Université de Liège).

 

Une bonne affaire pour le secteur immobilier

 

« L’objectif principal en est bien entendu la production alimentaire », précise-t-il. « D’ici 2050, la planète hébergera 9,6 milliards d’habitants. 75% d’entre eux vivront en ville. Il faudra les nourrir.

 
Mais les objectifs sont aussi sociaux et environnementaux. L’agriculture urbaine, c’est favoriser un certain modèle d’agriculture intensive qui est économe en ressources et qui recycle. En Wallonie, chaque habitant produit en moyenne 70 kilos de matières organiques par an », rappelle-t-il.

 

Même le secteur de l’immobilier peut prendre davantage de valeur grâce à cette activité, estimait mardi le scientifique, lors du colloque organisé sur l’agriculture urbaine par l’association Greenwal, le Pôle d’excellence wallon de la construction durable.

 
« Les friches industrielles, comme à Liège par exemple, pourraient également connaître une nouvelle vie si on les transforme en zones de production agricole », estime le Pr Eric Haubruge, premier Vice-Recteur de l’Université de Liège. Les zones les plus polluées n’en seraient pas nécessairement exclues, par exemple en utilisant des cultures hors-sol, dans des bacs, en hauteur, ou encore en hydroponie (un type de culture utilisant l’eau comme substrat plutôt que le sol). Il ne faut pas perdre de vue que l’agriculture urbaine peut également être utile pour produire certaines molécules qui ne sont pas destinées à l’alimentation humaine », souligne-t-il.

 

Les villes de taille modeste sont également concernées

 

« Ces pratiques agricoles ne concernent pas que les grandes villes », analyse de son côté l’architecte Hugues Sirault. Avec le Pr Jijakli, il participe à deux projets de développement de ce type d’agriculture en province de Hainaut: l’un à Ghlin, non loin de Mons, l’autre à Leuze, où un projet de création d’un nouveau quartier est à l’étude.

 

« A Leuze-en-Hainaut, l’idée avec ce nouveau quartier est de ramener la nature et les habitants en ville », précise-t-il. « Et ce tout en développant aussi une certaine production agricole ».

 

Dans les petites villes, la notion d’agriculture urbaine est quelque peu différente de celle qui prévaut dans les grands centres. Le projet à l’étude à Leuze est de créer un nouveau quartier comprenant mille logements intégrés dans une espace « agriurbain » qui s’ouvre vers un pôle agricole périurbain exploité par des professionnels.

 

En proposant ce cadre semi-champêtre, les autorités veulent enrayer l’exode urbain actuel qui voit les habitants, en quête de « campagne », s’établir dans les villages périphériques. La volonté des autorités communale est de lutter contre l’étalement urbain et de renforcer les noyaux.

 

La recette du succès: une production intensive sous serres et durable

 

D’un point de vue économique, l’agriculture urbaine serait bénéfique à plus d’un titre. C’est l’analyse que fait l’homme d’affaires Hein Deprez, président de l’entreprise Univeg.

 

« Regardez Wavre-Sainte-Catherine », dit-il (où se situe en province d’Anvers et abrite le siège de son groupe agroalimentaire qui emploie 5.500 personnes dans le monde). « C’est le berceau de l’agriculture urbaine ».

 

L’entrepreneur parle ici des techniques de production intensive menées sous serres (en hydroponie notamment) et de leur « durabilité ». Deux axes forts du développement de l’agriculture en serres à Wavre-Ste-Catherine.

 

Durabilité et cultures intensives ? Hein Deprez prend l’exemple de l’eau, une ressource plus précieuse dans son analyse que les terres agricoles disponibles dans le monde.

 

Circuit fermé et recyclage

 

Pour produire un kilo de viande, il faut 15.000 litres d’eau, dit-il. Pour produire un kilo de tomates en serres, aux Pays-Bas il ne faut que 8 litres. Il livre une autre comparaison.

 

« Mille hectares (de cultures et prairies) sont nécessaires pour produire 700.000 kilos de viandes. Pour produire 700.000 kilos de tomates, un hectare suffit. En outre, une serre moderne ne consomme plus d’énergie. Au contraire, elle en produit. Le recyclage et les circuits fermés la rendent très attractive. Voilà pourquoi à ses yeux, l’agriculture intensive est le modèle à suivre en matière de durabilité, et une des solutions à privilégier pour le développement de l’agriculture urbaine.

 

Durable ne veut pas dire « bio », et l’inverse est vrai aussi

 

« Le développement des produits « bio » a amené beaucoup de gens à penser leur alimentation autrement. C’est très bien », estime Hein Deprez, qui n’est pas dupe: « l’agriculture intensive n’est pas nécessairement bio. Pas au sens des critères actuels du label bio », dit-il. « Certaines de nos productions sont effectivement bio, mais pour une série de raisons, elles ne peuvent pas être reconnues comme telles. Attention toutefois, prévient-il. Les produits bio ne sont pas nécessairement durables ».

 

Il n’oppose cependant pas les deux concepts. « Le développement du bio est une bonne chose », dit-il encore en guise de conclusion. « Il a permis aux consommateurs de repenser leur rapport à l’alimentation. Cela a recréé une conscience qui n’existait plus. C’est bénéfique pour tout le monde.»

 

 

Florilège

 
Des analyses et exemples proposés lors du colloque organisé par GreenWal, voici quelques atouts socio-économico-environnementaux liés à l’agriculture urbaine évoqués à Gembloux.

 

Réduire la pression sur les terres agricoles.
Réduire la pollution en ville.
Réduire le bruit.
Favoriser les circuits de distribution courts.
Créer un meilleur climat.
Favoriser l’emploi.
Absorber une partie de l’eau de pluie.
Réduire le stress des habitants.
Stimuler la consommation de fruits et légumes.
(Re)tisser les liens entre la production agricole et les consommateurs.
Valoriser les friches industrielles.
Réapprendre la valeur de la nourriture et la respecter.
Diversifier le contenu de nos assiettes…

 

 

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