Les aliments santé se mitonnent à Louvain-la-Neuve

19 mars 2018
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

SÉRIE (1) / Science ou fiction?

L’opération « Printemps des Sciences » plonge cette année aux confins de la science et de la fiction en Fédération Wallonie-Bruxelles. Daily Science se met au diapason.

 

« Notre objectif? Développer des aliments santé ». Yvan Larondelle, professeur à la Faculté des Bioingénieurs de l’UCL, ne fait aucun mystère. Avec son équipe internationale, il explore à travers le monde le potentiel de fruits et légumes peu connus mais consommés par les populations locales et dont les médecines traditionnelles mettent en avant des effets positifs sur la santé.

Dans son collimateur: les composés biactifs.  « Ce sont des composés naturellement présents dans les aliments qui interfèrent positivement avec notre métabolisme, sans pour autant être indispensables du point de vue nutritionnel. »

Quinze plantes sous la loupe

Parmi les composés biactifs, les plus connus sont sans conteste les composés phénoliques. Par exemple, les polyphénols, présents dans le vin rouge et auxquels on attribue de nombreux effets positifs, dont un pouvoir antioxydant. Mais aussi les phytostérols qui diminueraient l’absorption du cholestérol au niveau de l’intestin.

Les baies d'Açaï sont très riche en composés phénoliques antioxydants.
Les baies d’Açaï sont très riches en composés phénoliques antioxydants.

Depuis 25 ans, le laboratoire de biochimie de la nutrition de l’UCL a étudié une quinzaine de plantes négligées et prometteuses. Le Pr Larondelle lève un coin du voile sur la méthode menant à la découverte d’un nouveau composé biactif.

Chasse aux composés « bi » au Vietnam

« La première étape consiste à identifier sur le terrain, avec l’aide d’ethnobotanistes locaux, les fruits ou d’autres produits végétaux — comme les feuilles et les graines — qui ont une bonne réputation. Et pour lesquels un effet santé a déjà été répertorié par la médecine traditionnelle. »

Un projet est en cours au Vietnam. Au cœur de l’attention des scientifiques, on trouve des courges amères, des légumes dont la pulpe est couramment consommée en Asie du Sud-Est. « Les pépins, normalement jetés, contiennent une huile faite de composés très intéressants qui pourraient avoir des vertus très utiles pour la santé, peut-être jusqu’au cancer », explique le scientifique.

Une dynamique d’économie circulaire

Cette dynamique d’économie circulaire s’étend également au sim, un petit fruit vietnamien dont les médecines traditionnelles vietnamienne et chinoise reconnaissent les effets anti-inflammatoires au niveau intestinal.

« On a découvert que ce fruit était extraordinairement riche en un composé phénolique particulier de la famille des stilbènes, appelé picéatannol. La littérature scientifique attribue à cette molécule toute une série d’impacts positifs sur la santé », explique le Pr Larondelle.

« Alors que ce fruit était négligé, il commence à être réutilisé au Vietnam dans la production de jus et de boissons alcoolisées. Les pépins étant écartés du processus, on récupère ce coproduit dans notre projet pour en extraire le picéatannol. On souhaite désormais introduire ce composé biactif dans d’autres denrées alimentaires plus élaborées. »

Afin de déterminer leur profil chimique, les végétaux prometteurs subissent une batterie de tests analytiques réalisés notamment au laboratoire de la Professeure Joëlle Leclercq au Louvain Drug Research Institute de l’UCL.

Des œufs révolutionnaires pour contrer le diabète ?

Depuis deux ans, la poule pondeuse et son métabolisme si particulier –  sa capacité métabolique concernant les acides gras est dix fois supérieure à la nôtre – sont également au centre de l’attention du laboratoire du Pr Larondelle.

« De nouvelles recherches, encore expérimentales, mènent au développement d’œufs révolutionnaires en termes de composition dont on suspecte des effets positifs sur la santé. Notamment en curatif par rapport au diabète de type 2 et en préventif contre le cancer. »

Pour leur faire pondre ce super œuf, des gallinacés bien de chez nous reçoivent à picorer des graines de Ricinodendron (qui n’a rien à voir avec l’huile de ricin), en provenance du Cameroun. Cette euphorbe ne pousse en effet qu’en Afrique subsaharienne.

Alors que les œufs pondus au laboratoire sont bel et bien enrichis dans le composé intéressant pour la santé, la prochaine étape consistera à les administrer à des animaux puis peut-être à des volontaires humains, comme l’explique ici le Pr Larondelle:

 

Parce que la nutrition ne se cantonne pas à la chimie et à la physiologie, Louvain4Nutrition, une plate-forme multidisciplinaire, étudie les questions psychologiques, gustatives ou encore réglementaires liées à la nutrition.

« Notre structure a également mis en place un petit centre d’investigation clinique en nutrition. Les essais sur volontaires humains sains s’y font bien entendu en collaboration avec des médecins après avoir reçu l’aval du comité d’éthique. » Cet assentiment éthique est également nécessaire avant toute expérimentation sur animaux.

Le succès de l’açaï

Si tous les feux sont au vert, la dernière étape est la valorisation sur le terrain des connaissances acquises. « On travaille surtout avec des partenaires privés, essentiellement des coopératives de paysans qui peuvent alors mieux valoriser leurs fruits et autres légumes », indique Yvan Larondelle.

« Au Brésil, par exemple, le succès a été phénoménal. Avec le fruit Açaï, on a maintenu au travail ou mis au travail environ 100.000 personnes. Désormais, ce fruit est vendu dans le monde entier », explique le Pr Larondelle.

Son équipe a été la première à étudier scientifiquement ce fruit mauve un peu plus gros qu’une myrtille. Il se révèle être très riche en composés phénoliques antioxydants, lesquels ont des effets positifs sur les maladies cardiovasculaires.

D’anciennes variétés de pommes wallonnes intéressent aussi les chercheurs

Il n’est pas toujours nécessaire de courir au bout du monde pour dénicher des pépites bioactives. La Wallonie aussi détient des trésors (presque) oubliés.

Dans les années 70, alors que la politique productiviste de l’UE est à l’arrachage des vergers anciens et au remplacement des fruitiers hautes-tiges par des basses-tiges, des agronomes du Centre Agronomique de Gembloux (CRA-W) ont eu la bonne idée de sauver quelques individus des centaines de variétés de pommiers alors présents en Wallonie. Depuis lors, ce riche patrimoine croît et est reproduit en mode biologique dans le verger conservatoire du CRA-W.

Pommes "Pattes-de-loup". © Marianne Casamance CC BY-SA 4.0
Pommes “Pattes-de-loup”. © Marianne Casamance CC BY-SA 4.0

Outre des capacités naturelles à résister aux maladies végétales, certaines variétés de pommes présentent des propriétés intéressantes pour la santé humaine. « Nous avons mis en évidence que la peau de certaines variétés de pomme contient des triterpènes, des composés actifs avec une vertu anti-inflammatoire relativement bien démontrée. Les pattes-de-loups en sont extraordinairement riches », conclut le Pr Larondelle

 

Note : Le Pr Larondelle donnera le jeudi 22 mars, dans le cadre du Printemps des Sciences, une conférence ouverte à tous. Elle portera sur la thématique des aliments santé.

 

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