Dr Alexandre Heeren
Dr Alexandre Heeren.

Alexandre Heeren modélise l’anxiété pour mieux la soigner

20 juillet 2017
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

SERIE (5/6) « Made in WBI » 
 

Les scientifiques de Wallonie et de Bruxelles ont le cerveau qui bouillonne et des fourmis dans les jambes. Résultat : ils exercent leur passion pour la recherche aux quatre coins de la planète.

 

Pas facile de choisir une orientation pour des études supérieures quand on s’intéresse à tout. À Jodoigne, lorsqu’il était à l’école secondaire, Alexandre Heeren était passionné par les sciences, mais aussi par les cultures classiques.

 

« À l’heure du choix, j’hésitais entre la médecine et la philosophie », confie-t-il. « Finalement, j’ai opté pour la psychologie. Les programmes de cours laissaient entrevoir énormément de possibilités dans ce domaine, tant en ce qui concerne la recherche scientifique que la pratique clinique ».

 

À Louvain-La-Neuve, où il rejoint l’Université Catholique de Louvain (UCL), il double son master en psychologie d’un master en psychothérapie intégrée. « La particularité de cette formation est qu’elle était organisée en partenariat par trois universités : l’UCL, mais aussi l’Université de Liège et l’Université de Genève, en Suisse ». 

 

Les mécanismes de réduction de l’anxiété

 

En parallèle à ce second master, il s’oriente vers la recherche. Grâce à une bourse du Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS), le jeune diplômé se lance dans une thèse de doctorat. « Je me suis intéressé aux mécanismes cognitifs liés à l’anxiété, et plus particulièrement à ceux qui sont impliqués dans la réduction de l’anxiété », explique-t-il. « Mon but était de développer des applications, des programmes informatiques, destinés à réduire cet état chez les personnes qui en souffraient ».

 
Après un postdoctorat à l’université de Gand où il développe son expertise dans le domaine des neurosciences liées à l’anxiété, le Dr Heeren met le cap sur les États-Unis, grâce notamment à une bourse d’excellence de Wallonie-Bruxelles International et à un mandat de chargé de recherche postdoctoral du Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S.-FNRS). 

 
Cap sur Harvard

 
Et c’est la révélation! Le laboratoire du Pr McNally, au département de psychologie de l’Université d’Harvard, lui tend les bras. Cela fait plus de deux ans qu’il y travaille sur la modélisation de l’anxiété.

 

« Le laboratoire du Pr McNally est une référence internationale dans le domaine de l’étude de l’anxiété », souligne Alexandre Heeren. « Il présente la particularité de ne pas être attaché à une école ou un courant particulier. Il est aussi éminemment pluridisciplinaire. Pour trouver une solution à un problème spécifique, il fait appel à tous les domaines imaginables: l’histoire, la biologie, l’anthropologie, les mathématiques et bien évidemment la psychologie et la psychiatrie ». 

 

La théorie des graphes comme outil

 

Dans le cadre de mes recherches sur la modélisation de l’anxiété, je fais appel aux mathématiques, et plus particulièrement à la théorie des graphes (la théorie des « réseaux »).

 

Plusieurs mécanismes sont impliqués dans l’anxiété. Traditionnellement, les chercheurs se concentrent sur l’un ou l’autre de ces mécanismes. « Mes recherches prennent en considération l’ensemble de ces mécanismes. L’idée maitresse étant de tenter de déterminer comment ces mécanismes, pris dans leur ensemble et non plus individuellement, interagissent les uns avec les autres et influencent les troubles anxieux ».

 

« Nous nous intéressons donc à leur connectivité et aux problèmes que cette connectivité peut créer plutôt qu’aux mécanismes en eux-mêmes. Les mathématiques nous aident à modéliser ces interactions. Cela qui nous permet de proposer une nouvelle manière de conceptualiser l’anxiété ».

 

Des recherches fondamentales et des recherches cliniques 

 

Les recherches fondamentales développées par le Dr Heeren aux États-Unis se doublent d’un volet très appliqué, très clinique. « C’est cette conjonction des deux approches qui est au cœur de ma motivation », précise-t-il. « Pouvoir développer de front ces deux aspects d’une même recherche permet de proposer de nouvelles solutions thérapeutiques et de développer des recherches complémentaires ». 

 

« C’est cette approche alliant le fondamental et l’appliqué qui, à mes yeux, devrait guider la recherche dans le futur. En la pratiquant ici, aux États-Unis, j’en mesure toute la pertinence et la richesse. Quand le dialogue entre ces deux approches est direct, la force de frappe est assez colossale ».

 

Le Big Data et machine learning 

 

Comment procède le chercheur? « Nous travaillons sur des bases de données provenant d’études menées aux États-Unis et en Europe sur divers troubles anxieux, par exemple sur l’émergence de pensées intrusives, sur les ruminations, la tendance à porter son attention vers des stimuli liés aux préoccupations, la tendance à l’évitement, et plus récemment des mécanismes biologiques.  Au départ de données les plus représentatives possible (les études portent sur des centaines, voire de milliers de personnes), nous mesurons les processus en jeu, les mécanismes sous-jacents. Ces informations, du « big data », sont alors livrées à des algorithmes de machine learning qui nous aident à modéliser les phénomènes ». 

 

« Depuis les années 1970, on assiste à une explosion de la littérature scientifique en ce qui concerne les mécanismes larges et variés qui sont à l’œuvre dans le développement comme dans le maintien des troubles anxieux. C’est un peu comme si chaque labo avait travaillé dans son coin, avançant sa propre religion dans ce domaine. Nos travaux tissent des liens entre ces diverses approches. L’idée étant de voir à terme comment toutes ces avancées interagissent entre elles, suivant par exemple l’intensité des connexions concernées, leur nature… »

 

« Pour les patients, les résultats de nos travaux seront eux aussi, un jour, très concrets. Ils permettront de mieux cibler les interventions ».

 

L’analogie du réseau ferré

 

« Grâce à la meilleure vue d’ensemble du trouble ainsi modélisé, nous pourrons agir sur la facette la plus indiquée pour obtenir le meilleur résultat possible sur l’ensemble du réseau représentant les processus psychopathogènes. Un peu comme sur un circuit de chemin de fer où, en agissant sur un seul nœud ferroviaire, on peut améliorer l’ensemble du trafic. Ou du moins, évaluer la gare la plus « centrale »  en termes de connexions avec les autres gares du réseau. En agissant à cet endroit précis, c’est tout le réseau qui en profite ».

 

« Il en va de même dans le cas des troubles anxieux. Nos travaux vont permettre une meilleure prise en charge des patients, mais surtout, une prise en charge davantage personnalisée. C’est là que réside la force du développement d’un modèle « global » qui tient aussi compte de la spécificité des patients ».

 

Un retour en Belgique en tant que Chercheur qualifié du F.R.S.-FNRS

 

Les avancées engrangées par le Dr Heeren à Harvard ne sont pas passées inaperçues en Belgique. Dès la prochaine rentrée académique, il sera de retour au pays. Il vient de bénéficier d’un mandat de Chercheur qualifié du F.R.S-FNRS. Le nouveau Professeur associé à l’Université Catholique de Louvain va y développer un laboratoire de recherche interdisciplinaire centré sur l’anxiété. 

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