Les psychopathes de cinéma ne courent pas les rues

15 avril 2014
par Violaine Jadoul
Durée de lecture : 10 min

Non, les psychopathes que vous voyez au cinéma ne courent pas les rues. Dans les films ils sont en effet souvent invulnérables, super intelligents, ont un don incroyable pour la musique ou la peinture… Bref, ils sont « too much » ! En réalité, les psychopathes sont plutôt comme vous et moi. Des « Monsieur et Madame Tout le monde “… ou presque !

 

Le psychiatre Samuel Leistedt a analysé 126 films dans lesquels se trouvent des psychopathes. Le but était de trouver les psychopathes les plus réalistes, au sens clinique, pour ensuite montrer à ses étudiants comment les reconnaître.

 

Celui qui est aussi professeur à l’ULB et à l’Umons, expert auprès des tribunaux et psychiatre à l’Hôpital des marronniers à Tournai, a donc regardé au moins deux fois chacun des 126 films et analysé le comportement des 126 psychopathes qui s’y trouvent. Soit 21 femmes et 105 hommes.

 

Résultat ? Dans la majorité des cas, l’interprétation est exagérée ! « Les psychopathes sont souvent trop intelligents dans les films », observe le Pr Leistedt qui a publié ses résultats dans le Journal of Forensic Sciences (Psychopathy and the cinema : fact or fiction ?).

 

Les trois meilleurs psychopathes

Mais il y a aussi des personnages assez réalistes. Samuel Leidstedt dresse son tiercé des meilleurs psychopathes à l’écran.

 

Anton Chigurh, dans le film "No Country for old men" (2007). © D.R.
Anton Chigurh, dans le film “No Country for old men” (2007). © D.R.

Le gagnant est Anton Chigurh, le personnage principal de No Country for old men (2007) des frères Coen. Il s’agit d’un psychopathe tueur parti sur les traces de Moss, un chasseur qui a miraculeusement trouvé une mallette contenant deux millions de dollars à côté de cadavres de trafiquants de drogues.

 

Chigurh est interprété par Javier Bardem. « Il n’a pas toutes les qualités d’un Hannibal Lecter. Il est humain, vulnérable. Il a un physique passe-partout. Il fait peur parce qu’on connaît son activité et qu’il a ce regard particulier mais j’ai expertisé des gens comme ça en Belgique. Des hommes de main, des tueurs à gages », raconte le psychiatre.

 

Georges Harvey, dans "The lovely bones" (2009). © D.R.
Georges Harvey, dans “The lovely bones” (2009). © D.R.

Le deuxième prix est accordé au personnage de Georges Harvey dans The lovely bones (2009), de Peter Jackson. « Le film a un côté fantastique mais pas le personnage principal. C’est un prédateur sexuel, un pédophile », rappelle-t-il. En dépit des apparences : « C’est le bon voisin. Sympa, discret mais qui mène en fait une double vie. J’en ai aussi rencontré dans ma pratique. Ce sont des gens qui ne font jamais parler d’eux et qui sont en fait des gens dangereux. Stanley Tucci joue très bien ce rôle ».

 

Enfin, le film Les infiltrés (2006) de Martin Scorsese complète le podium. Frank Costello, joué par Jack Nicholson est un parrain de la pègre irlandaise à Boston. Un personnage qui a réellement existé.

 

Jack Nicholson dans "Les infiltrés" (2006). © D.R.
Jack Nicholson dans “Les infiltrés” (2006). © D.R.

« Martin Scorsese fait de très bons personnages. Il s’entoure de psychologues et de psychiatres pour créer ses personnages. Ici, Frank Costello a toutes les caractéristiques d’un certain type de psychopathes qu’on appelle le macho psychopathe », poursuit le Pr Leistedt.

 

Par contre, dans d’autres films, certains personnages sont étiquetés comme « psychopathes » alors qu’ils n’en sont pas. Samuel Leistedt cite l’exemple de Norman Bates dans le film Psychose, d’Alfred Hitchcock. « C’est un meurtrier mais il n’est pas absolument pas psychopathe. Il est plutôt psychotique, c’est-à-dire qu’il souffre d’une véritable maladie mentale qui est une psychose. Dans ce contexte de maladie, il va assassiner des gens parce qu’il a des distorsions avec la réalité mais les médias mélangent un peu les termes psychopathes et psychotiques. Et les gens aussi. »

 

« La psychopathie est un syndrome »

Il faut dire que même les spécialistes ont parfois des avis divergents sur la psychopathie. « On ne sait pas très bien ce que c’est. Il y a quelques années, on disait que c’était un trouble de la personnalité. Maintenant ce n’est plus le cas. On considère la psychopathie comme un syndrome au même titre que la dépression ou la schizophrénie », explique Samuel Leistedt.

 

Pour certains, les psychopathes sont malades. Mais d’autres contestent. Le Pr Leistedt est de cette seconde catégorie car selon lui, les psychopathes sont parfaitement conscients de leurs actes et du fait que ceux-ci ne sont pas socialement acceptables.

 

Au-delà de ces divergences, les spécialistes s’accordent sur les caractéristiques des psychopathes : « La première et sans doute la plus importante est que ce sont des gens qui ont peu ou pas d’empathie. Lorsqu’un de vos proches est triste, il peut vous arriver de vous sentir vous-mêmes triste… les psychopathes, eux, n’ont pas cette compétence. Ils n’arrivent pas à se mettre à la place des autres. »

 

Autre trait : les psychopathes n’ont pas accès à la culpabilité et aux remords. « Quand vous faites quelque chose de mal, vous finissez par avoir des difficultés à vous endormir. Vous vous dites que ce que vous avez fait n’est pas bien. Mais les psychopathes, eux, dorment sur leurs deux oreilles », raconte le psychiatre.

 

Des gens froids qui ne ressentent pas les émotions

Par ailleurs, les psychopathes sont des gens froids qui n’ont pas vraiment accès aux émotions. « Ils ne le font pas exprès. Par exemple ils ne savent pas ce qu’est l’anxiété. Ils ont une connaissance lexicale des émotions : ils peuvent vous en donner la définition mais ils ne savent pas la ressentir. Ils ont une espèce de déficit affectif profond. Par contre, ils peuvent mimer les émotions ».

 

C’est ainsi qu’ils parviennent à faire illusion auprès de leurs proches qui bien souvent ne sont pas conscients de vivre avec un psychopathe. Mais en dehors du cercle familial, ces gens sont froids. « D’ailleurs quand on rencontre des vrais grands psychopathes, on est là en vis-à-vis et on se sent mal à l’aise. Les gens paraissent glacés et ça entraîne un malaise chez l’autre car il y a quelque chose d’un peu inhumain. »

 

Pour illustrer son propos, Samuel Leistedt nous parle d’une interview d’un grand psychopathe ayant inspiré le personnage joué par Javier Bardem. C’était un homme de main de la mafia new-yorkaise surnommé « Ice Man ». « Ce type était père de famille et à côté de ça, son boulot c’était de supprimer des gens. Et ça ne l’empêchait pas de dormir. Avec sa femme et ses enfants, il n’a jamais posé de problème. Il pouvait mimer les émotions. Ce n’est pas très compliqué : il faut prendre les gens dans les bras… Mais regardez la vidéo, il est très froid. Il est effrayant même à travers l’écran », prévient le psychiatre.

 

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Un documentaire et une biographie ont été réalisés sur cet homme. Dans le documentaire, on apprend notamment comment il est entré à la mafia comme homme de main. Il raconte son « entretien d’embauche » au cours duquel il a dû tuer un homme en pleine rue sans savoir ce qui lui était reproché. Durant tout le récit, sa voix est posée et sur son visage s’affiche un sourire.

 

Les psychopathes travaillent à Wall Street

Pour autant, si les psychopathes sont généralement associés à la violence, ce ne sont pas tous des tueurs. « On assimile souvent le terme psychopathie au tueur en série mais il y a des psychopathes qui ne sont pas comme ça. Certains ne vont jamais vous violer, vous agresser ou vous tuer. Il y a des pères qui vont tyranniser leur famille mais qui ne vont jamais commettre d’actes délictueux aux yeux de la loi. »

 

Et puis la violence n’est pas toujours physique… Il y a ainsi des psychopathes dits sociaux ou « sucessfull psychopaths » en anglais. « Ce sont ces gens qui ont toutes les caractéristiques de la psychopathie mais qui vont les utiliser autrement. Ce sont par exemple des gens qui vont gravir les échelons dans des grandes multinationales et qui ne vont pas hésiter à écraser leurs collègues pour grimper.

 

Des études ont montré que c’est le cas de certains traders qui jouent avec beaucoup d’argent, certains politiciens. Dans les films que j’ai choisis il y a le fameux Gordon Gekko dans Wall Street (1987) qui illustre bien ce type de psychopathes. Il n’est pas agressif du tout mais c’est un grand tricheur, menteur, manipulateur qui n’hésitera pas à licencier cent personnes sans le moindre scrupule », confie Samuel Leistedt à qui il arrive de rencontrer des victimes de ces psychopathes.

 

Les liens entre Wall Street et la psychopathie ont fait l’objet de plusieurs études. Ainsi, Clive R. Boddy, un professeur de l’université de Nottingham défend l’hypothèse selon laquelle plusieurs hauts responsables financiers à Wall Street seraient des psychopathes. Et qu’ils auraient joué un rôle non négligeable dans la survenue de la crise financière. Son étude a été publiée dans Journal of Business Ethics. Mais il reconnaît que d’autres études doivent être menées sur le sujet.

 

Le psychologue new-yorkais Paul Babiak a également fait une étude sur la psychopathie et les postes à responsabilités. Si ce n’est qu’il s’est intéressé aux chefs d’entreprises. Selon lui, un chef d’entreprise sur 25 serait psychopathe. Il explique que les successfull psychopaths ne ressemblent pas à Hannibal Lecter : ils portent un costume et une cravate. Et ils sont prêts à tout pour obtenir le pouvoir, la reconnaissance, de l’argent ou une belle voiture. Le psychologue a notamment écrit un ouvrage sur la question : « Snakes in suits. When psychopaths go to work ».

 

Des femmes psychopathes

Dans les films analysés par Samuel Leistedt, il y a 105 hommes. Mais les femmes ne sont pas absentes du classement : elles sont au nombre de 21. Les femmes psychopathes existent donc.

 

« La psychopathie féminine est très mal documentée dans la littérature. Pour certains, c’est dû au fait que la psychopathie n’existe pas chez les femmes. Moi je pense qu’elle existe mais sous une forme différente avec des comportements beaucoup plus axés sur la manipulation de l’autre. Il est très rare que des femmes agissent pour des motivations sexuelles ; par contre elles agissent plus pour l’argent. C’est le cas de femmes qui se marient de manière répétée avec des gens plus âgés qui par hasard sont riches. Ils décèdent et elles emportent le magot ; c’est ce qu’on appelle des veuves noires. On comprend encore moins la psychopathie chez la femme que chez l’homme mais pour moi elle existe », déclare le psychiatre.

 

Les statistiques sur la psychopathie sont peu nombreuses. Et Samuel Leistedt de conclure : « en Belgique, elles ne sont pas actualisées. Les chiffres les plus récents concernent le Canada. Ce qu’on peut dire c’est que la psychopathie est rare. Très rare. En prison, il y a moins de 15% de psychopathes. Certains disent qu’ils sont en dehors des prisons mais la psychopathie n’est quand même pas fréquente. Moi qui fais des expertises, je rencontre quelques psychopathes par an en prison et c’est parce que j’ai de gros dossiers ».

 

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