Les couleurs des caméléons, et leurs modifications, résultent de phénomènes physiques, basés sur des cristaux photoniques.
Les couleurs des caméléons, et leurs modifications, résultent de phénomènes physiques, basés sur des cristaux photoniques.

La couleur dans la peau

11 mars 2015
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

La modification des couleurs des caméléons n’est pas une affaire de pigments. Cet effet optique résulte d’un phénomène physique. C’est la variation de la géométrie de minuscules « miroirs » présents dans la peau du reptile, en réalité des structures biologiques appelées « iridophores », qui est à l’origine de ces changements de teintes. Cette découverte a été faite en Suisse, à l’Université de Genève… par un ancien professeur de l’ULB, le généticien Michel Milinkovitch.

 

« Le caméléon ne produit donc pas de couleurs via l’agrégation ou la dispersion de pigments », explique le Pr Milinkovitch, directeur du laboratoire de l’Evolution naturelle et artificielle à l’Université de Genève. « Nous avons pu réfuter cette hypothèse largement répandue ».

 

Evolution de la couleur, en quelques dizaines de secondes, sous l'effet d'un stress et via une modification de la géométrie des iridophores de surface.
Evolution de la couleur, en quelques dizaines de secondes, sous l’effet d’un stress et via une modification de la géométrie des iridophores de surface.

 

De Bruxelles à Genève

« Certes, les mélanocytes présents dans la peau des caméléons peuvent être mis à contribution par l’animal pour assombrir son aspect extérieur (un peu comme lorsque notre peau « bronze »). Mais ils ne contribuent pas au changement de couleur. Ceux-ci résultent d’un autre phénomène, plutôt physique. C’est là un des résultats de notre publication cette semaine dans Nature Communications ».

 

Avant de gagner Genève en 2008 pour créer le LANE, le Pr Milinkovitch était professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Il s’intéressait déjà à la génétique et à l’évolution.

Le secret des iridophores

Cette fois, ce sont les iridophores de surface, ceux présents dans la partie supérieure de la peau, qui ont retenu l’attention du scientifique et de ses collègues physiciens. « Les iridophores sont des nanostructures, des cristaux photoniques », explique-t-il. « Il s’agit d’un mélange de deux matériaux, distincts: de l’eau et de l’air, de la chitine et de l’air, etc. » Ou de la guanine et du cytoplasme, comme dans le cas des caméléons.

Quand la lumière arrive dans ce matériau, elle est soit réfléchie, soit réfractée. « Etant donné les parcours que peuvent prendre les photons quand ils arrivent dans cette structure organisée, affichant une période régulière, en surface, en couches, etc., cela peut accentuer l’une ou l’autre couleur.

 

cameleon iridophores

 

Une réflexion du bleu à 100%

 

« Si la distance, si la période de succession de ces matériaux dans le tissu est de l’ordre de la grandeur des longueurs d’onde dans le visible, on a dès lors un effet détectable dans le visible », précise le chercheur.

 

Chez le caméléon, certaines longueurs d’onde sont réfléchies de manière sélective. La plupart de la lumière incidente passe à travers la structure de minuscules miroirs biologiques, mais une certaine longueur d’onde, le bleu par exemple, elle est réfléchie avec une efficacité extraordinaire, de l’ordre de 100%.

 

L’objet apparaît donc d’un bleu intense et pur. Non pas parce que d’autres couleurs sont absorbées, mais bien parce qu’il y a une réflexion très sélective de la lumière. Cela fonctionne donc comme un miroir sélectif.

 

Le stress comme initiateur du changement

 

Problème: les caméléons ne sont pas bleus. Ils affectionnent plutôt le vert pour se fondre dans la nature. «  Cette couleur est générée non par des pigments verts, mais bien par le bleu structural de leurs iridiophores agrémenté de quelques pigments jaunes », précise le Pr Milinkovitch, dont le laboratoire a pu déterminer la géométrie en trois dimensions de iridophores de surface.

 

Et c’est précisément en modifiant les arrangements, les distances, la géométrie de ces iridophores que le caméléon peut changer de couleurs et virer au jaune intense quand il est soumis à un stress.

 

Ecoutez le Pr Milinkovitch préciser pourquoi le caméléon change de couleurs.

Régulation thermique

Les travaux de l’équipe suisse montrent aussi l’existence d’une seconde couche d’iridophores, plus profondément situées dans la peau du reptile.

Ce second réseau est plus désorganisé que la structure de surface, commente le généticien. Il génère une réflexion de la lumière sur une large bande sauf en ce qui concerne l’infrarouge. Là, il est très efficace.

 

Grâce à ce second réseau, le caméléon peur réduire de moitié la quantité d’énergie du Soleil qu’il capte, ce qui lui permet de se protéger de la surchauffe! Au cours de l’évolution, cet animal s’est fabriqué une boîte à outils incroyable, indique le Pr Michel Milinkovitch.

Un hommage au professeur Jean-Pol Vigneron, de l’Université de Namur

L’article publié cette semaine dans la revue scientifique Nature Communications par les chercheurs genevois rend hommage à un scientifique belge, le Pr Jean-Pol Vigneron, de l’Université de Namur. Disparu inopinément en 2013 dans un accident de la route, le Pr Vigneron, un physicien, était un des précurseurs des études sur les propriétés des couleurs structurales, chez les insectes.
C’est lui qui m’a initié à la physique des cristaux photoniques, rappelle encore, en guise de conclusion, Michel Milinkovitch.

 

Ecoutez le Pr Milinkovitch esquisser certaines applications potentielles de ses recherches fondamentales sur les couleurs structurales

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