L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages est sur la mauvaise pente

7 avril 2015
Par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Volaille, porcs, bovidés… La consommation d’antibiotiques va filer à la hausse dans les élevages. C’est le Dr Marius Gilbert, bioingénieur de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), et ses collègues américains de Princeton (notamment) qui le disent.

 

Leurs estimations portent sur les quinze années à venir. Elles se basent sur une cartographie globale des animaux d’élevages dans le monde et des données relatives aux quantités d’antibiotiques utilisées aujourd’hui dans les élevages intensifs.

Ces projections sont également nourries par le fait que nous connaissons bien la situation dans certains pays émergents, où les pratiques vont basculer”, souligne le Dr Gilbert, du Laboratoire de Lutte biologique et Ecologie spatiale (LUBIES), de l’ULB. “L’élevage extensif dans plusieurs de ces pays émergents va se muer en élevage intensif”.

 

Quand il croise ces différentes données, couplées à d’autres, comme l’évolution de la démographie locale ou encore l’évolution du revenu par habitant, il arrive à ce constat inquiétant: l’utilisation globale des antibiotiques dans l’élevage va augmenter de 67% d’ici 2030.

Augmentation de la demande en protéines animales

Pourquoi cette augmentation phénoménale dans les pays en transitions? « Parce qu’il y a dans ces pays une classe moyenne qui se développe, qui dispose de plus de moyens et qui désire consommer davantage de protéines animales comme la viande, le lait, les œufs », précise Marius Gilbert

 

Pour suivre cette demande, la production doit donc s’intensifier. Et pour s’intensifier, les filières de production ont recours aux antibiotiques pour trois raisons:

 

      1. Comme promoteur de croissance. Quand on donne des antibiotiques aux poulets ou aux porcs, ils engraissent plus vite.
      2. Pour prévenir les infections.
      3. Pour assurer une fonction curative classique à l’occasion, comme en médecine humaine.

 

L’usage massif des antibiotiques dans les élevages est-il vraiment une bonne affaire pour les éleveurs? Marius Gilbert en doute.

En Belgique, la situation est nettement meilleure.

Il y a une vraie prise de conscience des agriculteurs et des fédérations agricoles par rapport à ce problème”, précise Marius Gilbert. “Nous sommes clairement dans une dynamique de diminution de l’usage des antibiotiques dans les élevages. Ceci dit, il y a encore moyen de faire mieux. En suivant l’exemple danois par exemple, où on utilise trois fois moins d’antibiotiques par kilo de viande produite que chez nous”.

 

En quoi cette augmentation potentielle de l’usage des antibiotiques dans les élevages en Asie, par exemple, concerne-t-elle la santé de la population en Europe? Ecoutez la réponse du Dr Gilbert.

Cinq pays: le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, devraient présenter à eux seuls une augmentation de près de 99% de la consommation d’antibiotiques, indiquent les chercheurs. Qui pointent aussi le danger, pour la santé humaine, de cette augmentation fulgurante de l’usage des antibiotiques dans l’élevage. Cela risque d’augmenter la (multi)résistance de certaines bactéries. Des bactéries qui deviennent dès lors quasi impossibles à combattre.

 

Un milliard de petits éleveurs comme victimes collatérales

 

Pour en revenir aux producteurs de viande, les premières victimes de cette augmentation de 67% de la consommation d’antibiotiques dans les élevages intensifs ne seront autres… que les éleveurs eux-mêmes. Mais pas ceux auxquels on pense d’emblée.

 

« L’élevage est essentiel à la survie de près d’un milliard d’éleveurs pauvres », indique le Dr Tim Robinson, chercheur à l’International Livestock Research Institute, un Institut qui a également participé à cette recherche.

 

« Ces personnes élèvent leurs animaux dans des systèmes extensifs et n’utilisent pas d’antibiotiques à des fins préventives ou comme promoteur de croissance, mais parfois simplement pour traiter leurs animaux lorsqu’ils sont malades. Si les antibiotiques sont moins efficaces, plus difficiles à obtenir, ou simplement plus chers, ces éleveurs seront les premiers à en payer le prix ».

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