Paul Magnette, au Collège Belgique (Charleroi).
Paul Magnette, au Collège Belgique (Charleroi).

Avec « Forma Urbis », Paul Magnette décline sa vision urbanistique pour Charleroi

7 décembre 2015
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Charleroi, une ville sombre, triste, balafrée par un héritage industriel omniprésent et lourd à porter ? Le socialiste Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi depuis trois ans, connaît bien les difficultés que traverse sa ville.

 

« C’est une ville en transition », indiquait-il lors de sa leçon-conférence donnée dans le cadre du Collège Belgique (voir encadré ci-dessous), au Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Intitulée « Forma Urbis », les « formes de la ville », sa réflexion a largement plongé ses racines dans l’Histoire, depuis les villes idéales romaines aux cités modernes européennes de taille moyenne. Un regard en arrière pour concevoir la ville de demain.

 

Réinventer les villes abîmées par l’anarchie du capitalisme industriel et de service

 

« La ville, c’est bien entendu un espace physique, de la matière, des bâtiments, dit-il d’entrée de jeu. Mais c’est aussi, surtout, une densité morale, des habitants, une vie en commun, une certaine forme de civilisation. Et je suis fasciné par les relations qui se tissent entre ces composantes matérielles et immatérielles ».

 

Pour les villes européennes de taille moyenne dont le tissu a été abîmé « par l’anarchie du capitalisme industriel du 19e siècle l’anarchie du capitalisme de service du 20e siècle », il faut réinventer la cité, réparer la ville.

 

Six leviers pour transformer Charleroi

 

« Il faut donc renouer avec la philosophie de la renaissance », explique l’orateur. « Celle de la rénovation urbaine ». A Charleroi comme ailleurs, on ne peut pas tout raser pour repartir de zéro. Comment faire, alors ?

 

« La stratégie de rénovation urbaine pour des villes comme la nôtre peut reposer sur six éléments », indique Paul Magnette.

 

Repenser la centralité urbaine

 

« Les villes dotées d’un centre et munies d’une première couronne, d’une seconde couronne, etc. sont un modèle », dit-il. « Il ne faut pas pour autant désavouer les villes polycentriques, considérées à tort comme des villes de seconde classe, des agglomérats de villages. Il faut pouvoir retourner ce lieu commun. Le polycentrisme qui apparaissait comme un défaut doit devenir une qualité ».

 

Pour Charleroi, c’est l’option qu’il retient. Une ville centrale complétée par des centres secondaires distincts et forts, reliés entre eux par des axes de circulation efficaces, rayonnants, mais aussi transversaux. « Chaque centre secondaire doit devenir un véritable pôle urbain, avec ses services, ses écoles, son identité », insiste-t-il.

 

Porosité sociale

 

« La mixité sociale est une autre condition de réussite de la ville », estime le bourgmestre. « Mais il ne faut pas pousser ce raisonnement à l’extrême. Les HLM, à Paris, sont un exemple de cette bonne idée théorique qui, dans la réalité, ne fonctionne pas».

 

« Cette mixité sociale ne doit pas nécessairement se réaliser au sein de chaque rue. Elle peut se concevoir à l’échelle de petits quartiers. Les quartiers peuvent être typés, pourvu qu’il existe des zones d’échanges entre eux, une porosité suffisante où les différents publics se rencontrent ».

 

« Dans une ville comme Charleroi, qui compte beaucoup de trous causés par les friches industrielles, nous avons l’occasion de retisser un tel tissu urbain, de remettre du logement là où c’est nécessaire, avec des transitions.

 

Organiser la densité

 

« La densification urbaine est également à prévoir. Au risque sinon de voir la ville se développer de manière anarchique. Cela passe par le renforcement d’une série de noyaux urbains déjà en place comme Gosselies, Marchienne, Marcinelle… »

 

Cela recrée des pôles secondaires et évite ainsi de limiter la ville à un centre très dynamique et des noyaux périphériques à l’abandon. Chacun de ces districts doit être une ville dans la ville. Cet équilibre doit permettre à chacun de vivre de manière épanouie.

 

Rebâtir des « lieux communs »

 

Paul Magnette n’aime pas le vocable « Espace public ». Pour désigner les zones urbaines publiques accessibles aux habitants, il préfère parler de « lieux communs ». Des lieux où les usages ne sont pas prescrits. Des lieux où on ne dit pas aux gens: « Ici, jouez, ici asseyez-vous, ici, marchez… ».

 

Sa recette pour les lieux communs? Libérer l’espace, enlever les voitures, se rapprocher de l’eau, remettre un peu de nature. « Et chacun y fait ce qu’il a envie d’y faire », dit-il. «Cela invite les différents publics à s’y retrouver, sans prescrire certaines activités typées. Cela permet aussi de retrouver une certaine civilité. Une culture de la civilité ».

 

Penser la ville avec les citoyens

 

L’autorité publique ne détient pas tous les savoirs. « La consultation est indispensable, toutes les consultations », dit Paul Magnette. « Avec ce que cela comprend de rationalités: écologique, économique… Les modes vie évoluent. Il faut en tenir compte en proposant des espaces urbains souples, en écoutant les citoyens, en multipliant les formes de participations, mais avec l’arbitrage de l’autorité publique. »

 

Le principe d’équilibre

 

Il s’agit ici de compter. De compter le nombre d’habitants par centre urbain, par districts dans une ville multicentriques. Le chiffre de 30.000 à 40.000 habitants par centre urbain semble être idéal, constate-t-il, se référant à l’histoire de l’urbanisme au fil des siècles passés.

 
La dernière leçon de l’année du Collège Belgique décentralisé à Charleroi touche à sa fin. L’orateur, qui a fait salle comble, s’éclipse vers d’autres obligations. L’Académicien, ancien chercheur de l’Université Libre de Bruxelles et l’ex-directeur de l’Institut d’études européennes de l’ULB est aujourd’hui ministre-président de la Région Wallonne et bourgmestre de Charleroi.
 

 

Collège Belgique à Charleroi: la saison 2 s’annonce ambitieuse

 

Les cours-conférences du Collège Belgique sont un succès. Y compris à Charleroi où l’expérience des leçons décentralisées était testée pour la première fois cette année. La leçon de clôture donnée par Paul Magnette en atteste.

 

« Pour cette première saison à Charleroi, le Collège Belgique avait programmé six leçons », rappelle le Dr Hervé Hasquin, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, et initiateur du « Collège Belgique ».

 

« Dès l’année prochaine, il y en aura dix, annonce-t-il. Neuf leçons sont programmées. Le dixième rendez-vous prendra la forme d’un colloque consacré à Georges Lemaître, le « père du Big Bang ». Le Pr François Englert (ULB), Prix Nobel de Physique en 2013, y participera. La leçon inaugurale est programmée pour le 18 février ».

 

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