La Connaissance risque de devenir quelque chose de plat

11 juillet 2016
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

C’est le physicien et philosophe français Etienne Klein qui le dit. Avec les écrans qui ont envahi notre quotidien, « la connaissance risque de devenir quelque chose de plat ».

Invité voici peu à Liège par la Région wallonne (DGO6) à l’occasion d’une réunion des acteurs de la diffusion des sciences, le philosophe ne s’est pas concentré que sur la problématique des écrans. Plus globalement, il s’interrogeait sur la manière de rendre les sciences plus attrayantes. Son crédo? « Pour donner le goût des sciences, il faut donner du goût aux sciences ». Le tout étant de trouver le savant dosage d’épices à apporter.

Dans d’autres domaines, elles ne manquent cependant pas. Euro de football, Tour de France cycliste, Jeux olympiques au Brésil… L’engouement populaire est au rendez-vous quand les grands événements sportifs déroulent leur spectacle. Pourquoi les sciences n’entrent-elles pas dans ce schéma, s’interroge Etienne Klein? Pourquoi ne sont-elles pas aussi mobilisantes que la musique?

Une joie intellectuelle sans équivalent

« Parce qu’il faut faire des efforts pour les apprécier ? Bien jouer de la musique est tout aussi exigeant, non? », analyse-t-il. « En sciences, pour réussir, pour les aimer, il faut leur consacrer du temps et de l’énergie », rappelle le philosophe. « Ce n’est qu’alors que surgit une joie intellectuelle sans équivalent, celle de comprendre ».

La piste semble donc simple à tracer. Il faut encourager le goût de l’effort. « Il faut aussi se rendre compte que ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas tout de suite à un résultat, parce qu’on ne comprend pas immédiatement, qu’on ne comprendra jamais ».

« Einstein n’était pas rapide », rappelle-t-il. « Au final, il a pourtant compris énormément de trucs ».

Une naissance à Monaco ou une cinquième dimension à l’espace-temps

Malheureusement, cette patience, cette ténacité, ce goût prolongé de l’effort, la volonté de comprendre demande une disposition qui n’est malheureusement pas à la mode aujourd’hui. « Cela implique une faculté de concentration », reprend Etienne Klein. « Or, la formation actuelle par les écrans n’encourage pas cette concentration ».

« Les écrans nous font perdre la linéarité de l’effort, de l’apprentissage. Il y a toujours la tentation de ce qu’il y a à côté… Si on n’y prend garde, peut-être que la connaissance va devenir quelque chose de plat. De plat comme les écrans. Une connaissance sans hiérarchie, où une naissance à Monaco aura autant d’importance que la découverte d’une cinquième dimension à l’espace-temps… »

Cette évolution des apprentissages interpelle le savant. « Je suis confronté à un véritable problème », avoue-t-il. « Comment quelqu’un de ma génération peut-il enseigner à quelqu’un de la génération actuelle? »

Individualisation des connaissances

Les écrans? « Je n’y crois pas. La diffusion d’une leçon par PowerPoints, ce n’est que de la séduction ». En espérer ensuite une restitution? « Cela ne marche pas », constate-t-il. « Par contre, quand on déploie une équation au tableau, c’est autre chose. Elle prend une vie propre ».

Nostalgique? Le philosophe ne l’est pas. « Les jeunes ont individualisé leurs connaissances », estime-t-il. « Avec comme conséquences qu’ils savent effectivement énormément de choses. Mais avec comme corollaire qu’il n’y a plus de fonds commun. Ils connaissent moins de choses « ensemble » ».

« Il devient donc difficile de se synchroniser sur leurs connaissances communes. Quand je donne cours, je suis prudent. Je suis aussi patient. Je regarde les têtes, pour voir si elles comprennent ce que je dis ».

Les sciences humaines à la rescousse

Pour donner le goût des sciences, Etienne Klein croit en l’Histoire. « Il faut montrer à quoi sert la science. Montrer qu’elle n’est pas ennuyeuse. Que l’Histoire des sciences est passionnante ».

« Ma proposition ? Intégrer une fois par an, un cours d’histoire des sciences dans le cursus. Et cela à tous les niveaux d’enseignements, y compris au sein des Grandes Ecoles et des Universités, dans les filières scientifiques comme dans les autres. Tous les ans, il faut raconter une Histoire aux étudiants. Et de préférence bien la raconter. Il peut s’agir de l’histoire d’une découverte, d’une avancée. Cela permet de reconnecter les sciences avec l’humain. Cela permet aussi de montrer que les avancées scientifiques ne sont pas le fruit d’une victoire d’un camp sur un autre. D’un dogme sur un autre, d’une connaissance sur une croyance. Cela permet aussi de se rendre compte combien le raisonnement scientifique est souvent anti-naturel. Toutes les lois de la physique ne sont pas déductibles de l’observation », conclut le scientifique.

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