La faune des cadavres, selon le Dr Megnin.
La faune des cadavres, selon le Dr Megnin.

Les insectes éclairent la police depuis 200 ans

22 juillet 2014
par Jean Andris
Durée de lecture : 5 min

Série (1/4) Science & Justice

 

Mener une enquête policière, c’est être attentif au moindre détail. Et lorsqu’il s’agit d’une affaire criminelle, même les auxiliaires les plus modestes peuvent, comme les insectes, apporter aux enquêteurs des informations extrêmement précieuses.

 

C’est un certain docteur Louis François Etienne Bergeret (1814-1893) qui au milieu du XIXe siècle, a eu l’idée de recourir à l’examen des insectes présents sur un cadavre pour tenter de dater le décès d’un nouveau-né dont les restes avaient été découverts dans une maison. Il a estimé que les insectes les plus anciens, en l’occurrence des mouches, qu’il avait trouvés sur la dépouille de cette petite victime, étaient issus d’une ponte qui datait de1848, soit deux ans avant la découverte du cadavre. La piste fut remontée jusqu’aux personnes qui avaient occupé la maison cette année-là.

 

Le premier traité est signé par un entomologiste parisien

 

Ce n’est toutefois qu’en 1894 que fut publié un traité sur l’utilisation des insectes en médecine légale sous la plume de Jean Pierre Mégnin, vétérinaire et entomologiste du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Près d’un demi-siècle plus tard, à une époque où l’entomologie n’était quasi plus connue des milieux médico-légaux, le Dr Marcel Leclercq, médecin liégeois, s’est intéressé aux mouches qui peuplaient les cadavres et a réintroduit l’entomologie dans cette discipline. D’autres, comme on le lira dans un prochain article, lui succédèrent dans le monde et cette méthode est ainsi devenue de plus en plus précise.

 

Des escouades affamées

 

L’idée de base est simple : de nombreux insectes différents viennent se nourrir de cadavres. Mais à chacun ses « mets » de prédilection ! Les insectes sont en mode « self-service ». Ils prennent sur le cadavre ce qui les intéresse puis laissent la place à d’autres qui viennent y chercher d’autres composants de leur alimentation, et ainsi de suite. Plusieurs vagues se succèdent. Les spécialistes parlent d’escouades. Les légistes comptent huit escouades d’insectes. Si on connaît l’ordre normal et la chronologie de leur succession, la découverte et l’identification d’une ou plusieurs espèces données permettent automatiquement d’estimer la date du décès. Il faut toutefois savoir que la faune entomologique étant différente d’une région à une autre, les escouades ne seront pas les mêmes. Mais le principe reste valable.

 

Tout cela ne donne qu’une idée de base car l’environnement dans lequel se trouve le corps joue un rôle également. Le corps peut être inhumé ou pas, immergé, gelé pendant de longs mois comme c’est le cas en montagne ou retrouvé en terrain sec. Il faut en tenir compte dans l’estimation de la date du décès.

 

L’œuf ou la larve ?

 

L’identification d’une vague d’insectes, on l’aura compris, permet de réaliser une datation du décès à plus ou moins long terme, à partir de deux semaines environ puisque c’est la fin de la première vague. Mais si on observe la présence de mouches de la première vague (vertes, bleues, domestiques), il n’y a pas moyen de dire depuis combien de jours elles sont là.

 

On peut pourtant établir une datation à plus court terme si on connaît la durée des phases de leur développement. Les insectes qui se nourrissent sur les cadavres ou insectes nécrophages passent par quatre phases de développement : l’œuf, la larve, la nymphe et l’adulte, qu’on appelle aussi imago.

 

La durée d’incubation des œufs est variable selon la température et peut aller d’une dizaine à une centaine d’heures. Cela n’apporte donc pas une très grande précision dans la datation mais si on tient compte d’autres aspects, comme par exemple le degré de destruction des tissus, on peut affiner les données. Puis les larves apparaissent et passent elles-mêmes par trois stades. Le premier stade ne dure qu’une quinzaine d’heures et les deux stades suivants sont chacun plus longs que le précédent. Le dernier dure plusieurs jours. Si on est capable de reconnaître le stade larvaire, on peut donc se faire une idée relativement précise. Puis la nymphe se forme et s’entoure d’une enveloppe rigide appelée « pupe ». Enfin, la forme adulte sortira de cette enveloppe. Elle sera capable de pondre environ une semaine après sa sortie.

 

Terminée avec les moyens du bord

 

L’entomologie médico-légale continue à évoluer. Elle vient aussi de la nuit des temps. Des récits racontent que chez les Chinois, des criminels ont été condamnés parce que les mouches étaient attirées par le sang de leur faucille. Ou encore, que les mêmes mouches ont retenu l’attention d’un officiel parce qu’elles se concentraient au niveau d’une plaie du crâne de la victime, plaie qui serait passée inaperçue sans cela.

 

Pendant longtemps en Occident, si on voyait bien que des larves se développaient sur les cadavres, on croyait que c’était par génération spontanée et on n’y attachait dès lors pas grande importance. Les connaissances ont évolué depuis !

 

Et ce n’est pas tout : une connaissance de plus en plus précise de la vie de ces insectes continue d’apporter des informations. Ainsi, en observant minutieusement l’enveloppe d’une nymphe trouvée sur un cadavre qui avait été enfermé dans un sac, on a pu se rendre compte que la bestiole avait achevé cette enveloppe avec des fibres prises sur les chaussettes de la victime. Elle avait donc commencé sa construction avant de se trouver dans le sac, donc le cadavre de la victime n’avait pas séjourné dans ce sac immédiatement après le décès. Le corps avait été mis en sac dans un second temps et cette notion a constitué une information importante pour les enquêteurs.

 

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