Olivia Gosseries, une globe-chercheuse aux confins de l’inconscient

23 juillet 2018
par Marie Thieffry
Durée de lecture : 7 min

SERIE (1/6) WBI donne des ailes aux chercheurs

Le parcours d’Olivia Gosseries est ponctué de séjours de recherches à l’étranger et de conférences internationales. Aujourd’hui chargée de recherche FNRS au « Coma Science Group » du GIGA-consciousness à l’ULiège et au département de neurologie du CHU de Liège, elle poursuit ses recherches sur le coma et les confins de notre inconscient….

Malgré les aléas de la connexion téléphonique par Skype, Olivia Gosseries ne perd pas le fil. Pourtant, il pourrait y avoir de quoi… Trois jours avant Cracovie, où elle se trouve ces jours-ci pour participer à la conférence annuelle de « l’Association for the Scientific Study of Consciousness » (ASSC), elle était à l’autre bout de l’Europe, pour l’organisation de la première conférence sur la conscience de « Human Brain Project » qui se tenait à Barcelone. Avant, c’était Lisbonne qu’elle visitait pour « l’European Academy of Neurology »…

« Le mois de juin, c’est le mois des conférences ! » lance la chercheuse, comme pour justifier ce syndrome de la « bougeotte » dont elle semble atteinte. Un syndrome pourtant inhérent à cette Bruxelloise de trente-quatre ans. « Plus jeune, j’étais bonne élève, se rappelle-t-elle. Mais à dix-huit ans, je ne savais pas trop quoi faire. Je suis alors partie un an à l’étranger… » Ni une ni deux : décollage immédiat pour l’Angleterre, où la jeune fille passe quatre mois dans une institution locale. Pendant un de ses cours, elle découvre l’autisme et les surdoués. Véritable découverte : elle étudiera la psychologie.

Mais d’abord, elle enchaîne avec six mois en Australie aux abords de Melbourne : « J’habitais dans une ferme tout en étant inscrite à l’école catholique du coin. Je devais traire les vaches le matin avant d’aller à l’école en uniforme…C’était très dépaysant ! »

Un véritable « déclic » pour la neuropsychologie

A son retour, elle s’inscrit à l’ULB en psychologie. Première année, première plus grande distinction. Les quatre années suivantes s’enchaînent avec brio. Dans le cadre du Master, c’est reparti : la jeune femme décide de faire un Erasmus de six mois à l’Université du Québec à Montréal. Elle participe à un « workshop » de neuropsychologie : « Tous les mercredis, je rendais visite aux patients d’un centre de réadaptation. Tous étaient tombés dans le coma à un moment ou à un autre. Certains se rappelaient d’avoir vu des étoiles, d’autres un grand horizon blanc…Cela me fascinait. »

Cette expérience lui donne envie d’en apprendre plus sur le coma. Elle contacte le professeur Steven Laureys du « Coma Science Group » au GIGA à l’ULiège qui l’accueille à bras ouverts pour faire un stage, son mémoire…et une thèse. Avant d’entamer cette dernière, elle décide de passer quatre mois à Philadelphie dans le Moss Rehabilitation Research Institute (MRRI) avec le professeur John Whyte : « Je voulais me familiariser avec cette population et voir comment les patients évoluent au jour le jour avant d’étudier leurs cerveaux pendant quatre ans… »

Une fois rentrée en Belgique, la chercheuse commence une thèse sur les processus cérébraux chez les patients récupérant du coma au GIGA-consciousness à l’ULiège avec le professeur Laureys. C’est à cette occasion qu’elle travaille avec sa future méthode de prédilection : l’électroencéphalographie et la stimulation magnétique transcrânienne.

« On stimule directement le cerveau en lui transmettant une stimulation magnétique par le biais d’une sorte de bobine qu’on met sur la tête du patient et on enregistre l’activité électrique du cerveau, explique-t-elle. Je travaille avec des patients qui sont en état d’éveil non répondant, ce qu’on qualifie parfois encore d’état « végétatif ». Pour une psychologue, c’est peu courant de travailler avec des personnes qui ne peuvent pas communiquer… » Il n’empêche, elle s’y consacre avec passion.

Un « index » pour évaluer l’état de conscience

« Chez les personnes qui ne sont pas conscientes, en état d’éveil non répondant ou pendant le sommeil profond sans rêves, la stimulation que l’on exercera ainsi se cantonnera à une seule zone du cerveau, poursuit-elle. Elle reste locale et simple. Ce qui n’est pas le cas chez les personnes conscientes, comme vous et moi, ou chez les patients en état de conscience minimale ou encore lors d’un rêve proche de la phase d’éveil. Lorsqu’on stimule la même partie du cerveau, elle va s’activer et présenter une réponse complexe qui va s’étendre à d’autres régions du cerveau. » Face à ce constat de différentiel réactionnel, la chercheuse tente de développer un modèle d’évaluation de l’état de conscience. « Au lit du patient, on a 40% de chances de se tromper de diagnostic, lance-t-elle. Nous ne pouvons pas nous fier uniquement au comportement : il faut utiliser davantage l’imagerie cérébrale. »

En collaboration avec l’équipedu professeur Marcello Massimini de l’université de Milan où Olivia Gosseries a séjourné pendant trois mois, elle développe un « index de complexité perturbationnelle » (PCI) pour gagner en certification dans l’évaluation de l’état d’éveil du patient. « Il s’agit d’un chiffre entre 0 et 1, avec un seuil de 0,31 sous lequel la personne est estimée non consciente. Nous l’utilisons au sein de la clinique à Liège, mais comme c’est encore assez nouveau il faudrait trouver des moyens plus rapides pour obtenir les résultats. L’idée, c’est de répandre cette technique dans tous les hôpitaux pour avoir une mesure objective du niveau de conscience chez les patients post-coma. »

Une chercheuse toujours en éveil

C’est à Madison, aux Etats-Unis, qu’Olivia Gosseries va réaliser son post-doctorat pour étudier le sommeil et la mémoire en utilisant à nouveau sa méthode de stimulation cérébrale. Elle obtient un double financement du WBI et du BAEF afin de reprendre la route vers le continent américain, dont elle devient une habituée. « C’est toujours bon de faire une partie de son post-doctorat à l’étranger, sourit-elle. Je partais pour un an au début…Mais c’était tellement bien, que je suis finalement restée trois ans ! » La « globe chercheuse » enchaîne en effet deux post-doctorats à l’Université du Wisconsin-Madison avec le professeur Giulio Tononi, le docteur Mélanie Boly et le professeur Bradley Postle.

« A cette époque, je travaillais beaucoup pendant la nuit, se rappelle-t-elle. Pour étudier le sommeil des participants, il faut faire abstraction du sien…  J’habitais en face d’un lac – il y a des lacs partout là-bas – donc je me réveillais tous les matins avec le reflet du soleil dans l’eau. En été, nous faisions du kayak et de la voile…et l’hiver, du ski de fond et de la pêche sur glace ! Ce lac était magique. » Dynamique, Olivia Gosseries est aussi une sportive aguerrie : elle a participé à une de ces courses type « triathlon » : un demi « Iron man », à Barcelone mais aussi un marathon à Madison. « Aujourd’hui, je suis une des rares de mon laboratoire à monter la fameuse côte du Sart Tilman de l’ULiège entièrement à vélo ! » Ce laboratoire du « Coma Science Group » de l’ULiège (GIGA), la jeune chercheuse l’a connu aux débuts de ses études : « Quand j’ai commencé, il y a presque onze ans, nous n’étions que cinq. Aujourd’hui, nous sommes trente ! Ça me plaît : la dynamique de groupe permet d’avancer plus vite. »

Aujourd’hui, Olivia Gosseries a encore des envies d’évasion : « Je repartirai, bien sûr ! Grâce à mes recherches, j’ai pu visiter des endroits où je n’aurais jamais été. J’ai fait la connaissance de beaucoup de gens, que j’irai d’ailleurs bientôt revoir : je planifie un séjour aux Etats-Unis pour rencontrer des professeurs en lien avec mes nouvelles recherches dans les prochains mois. Je m’intéresse maintenant à l’hypnose et à la méditation…Encore de nouvelles occasions de partir ! Des voyages qui me feront passer sans aucun doute sur la route de Madison… »

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