Un demi-siècle de désindustrialisation et de conflits sociaux à Bruxelles

23 novembre 2015
par Daily Science
Durée de lecture : 4 min

Les « golden sixties » n’ont pas été nécessairement étincelantes à Bruxelles. Le Docteur en Sciences sociales Jean Vandewattyne, qui enseigne à l’Université de Mons (UMONS) et à l’Université libre de Bruxelles (ULB), montre dans la revue « Brussels Studies » que cette période marque aussi le début d’un vaste mouvement de désindustrialisation et de conflits sociaux dans la capitale belge.

 

« C’est à partir de 1961 que l’emploi industriel commence à décroître dans la capitale », rappelle le scientifique. « Au moment de la grève de 1960-61, Bruxelles est la ville industrielle la plus importante de Belgique en termes d’emploi. À l’intérieur des dix-neuf communes, un peu plus de 166.000 personnes sont occupées dans l’industrie contre près de 100.000 à Liège, 87.000 à Anvers, 56.000 à Charleroi et 48.000 à Gand ».

 

Une conscience de classe en retrait

 

Toutefois, en termes de « conscience de classe » et de « combativité », elle apparaît fort en retrait par rapport à des centres urbains tels que Liège, mais aussi, en Flandre, Anvers et Gand. C’est-à-dire des « régions où les traditions ouvrières sont vivaces, où les luttes sociales ont toujours été ardentes, où la vie urbaine forme les consciences politiques et où les quartiers ouvriers conservent des traits spécifiques (par exemple les corons), créateurs et gardiens de la conscience ouvrière ».

 

Entre 1964 et 1972, Bruxelles perd 60.000 emplois industriels. Tandis que de 1970 à 2000, l’emploi manufacturier chute de près de 75 % à Bruxelles contre près de 50 % dans l’ensemble du pays.

 
Quelques noms d’entreprises qui ont réduit la voilure, voire quitté Bruxelles, sont épinglés par le chercheur: l’usine Citroën à Forest, Nestor Martin à Ganshoren, Côte d’Or, qui transfère son site de production près de la gare du Midi au tournant des années 1990, Philip Morris qui ferme son usine d’Ixelles en 1994…

 

Un espace de contestation sociale qui dépasse le strict cadre bruxellois

 

La seule exception de taille est constituée par VW Forest, de loin la plus grande entreprise industrielle bruxelloise. Au début des années 2000, le constructeur allemand crée encore plus de 1000 emplois. Cette exception prendra finalement fin en 2006 avec le départ de VW et la reprise du site par Audi.

 
« Autant d’événements qui ont marqué la vie économique et sociale de Bruxelles. Même si les conflits sociaux qui émaillent la vie de la capitale belge et européenne sont finalement peu en lien direct avec des problèmes concernant des entreprises bruxelloises », constate le Dr Vandewattyne.

 

Les manifestations nationales, intersectorielles et en front commun de 2014 et de 2015 en sont un exemple, puisqu’elles protestaient contre des mesures gouvernementales fédérales.

 

Plusieurs facteurs expliquent le peu de conflits ouverts dans les entreprises bruxelloises, comme le poids du tertiaire public et des très grandes entreprises dans le secteur des services, où la concertation sociale est institutionnalisée, mais aussi où les navetteurs sont nombreux. Or, on sait que la dissociation entre le lieu de travail et le lieu de vie rend les mobilisations collectives plus difficiles.

 

En outre, la structure économique bruxelloise est aussi caractérisée par un poids important des petites entreprises et des sous-traitants, où l’action syndicale est particulièrement ardue. Enfin, comment ne pas mentionner l’évolution du tissu industriel et du monde ouvrier bruxellois ?

 
Deux grandes périodes de conflits sociaux

 
C’est précisément de ce dernier point que traite le numéro 93 de Brussels Studies. Les cas analysés permettent de dégager deux grandes périodes en matière de conflits sociaux à Bruxelles.

 
La première correspond à la fin des « trente glorieuses » et est marquée par quelques grèves dures, longues et offensives sur le plan des conditions de travail.

 

La seconde période, allant du début des années 1980 à 2010, a globalement pour toile de fond la crise économique, mais aussi de nouvelles politiques managériales qui, à partir du début des années 1980, vont remodeler la réalité du travail et des organisations tant dans le secteur secondaire que tertiaire. Les grèves vont alors devenir surtout défensives et avoir pour enjeu principal la négociation de plans sociaux.

 
Reconfiguration du syndicalisme urbain post-industriel

 
Cette analyse historique pose clairement la question de la reconfiguration du syndicalisme dans un contexte urbain post-industriel, où les approches à l’échelle de l’entreprise, du secteur ou de la régionale sont constamment remises en cause par la réduction de la taille des entreprises, la sous-traitance et l’internationalisation des processus décisionnels, mais aussi par la mobilité quotidienne des travailleurs ou le télétravail, indique encore Brussels Studies.

 

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