Il ne faut pas accuser les algorithmes

24 mars 2017
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Avec ses multiples données, ses opérations arithmétiques et logiques, seule l’informatique nous permet d’affronter et de résoudre efficacement les problèmes du monde. Hugues Bersini l’assure en cernant ces algorithmes dans «Big Brother is driving you» aux éditions de l’Académie royale de Belgique.

 

«Big Brother is driving you», par Hugues Bersini, éditions de l’Académie royale de Belgique, VP 7 euros, VN 3,99 euros.
«Big Brother is driving you», par Hugues Bersini, éditions de l’Académie royale de Belgique, VP 7 euros, VN 3,99 euros.

«Toute arithmétique, toute démarche de planification, tout raisonnement, toute conduite automatisée de procédés est le résultat d’un algorithme», souligne le professeur d’informatique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).

 

Penser écologie et économie

 
L’informatique se ramène donc à des séquences rigides d’opérations. Inscrites par l’informaticien dans les circuits d’un processeur. Ou que l’ordinateur découvre lui-même, par essais et erreurs. Selon une logique d’apprentissage décidée par son programmeur.

 
Le langage des ordinateurs privilégie les versions utilitaristes. Des drones robotisant les champs de bataille. Des véhicules sans conducteur provoquant moins d’accidents… Pour le chercheur, qui a travaillé sur l’automatisation de la conduite des voitures, les véhicules ne devraient plus être individuels.

 
«Des motivations écologiques et même économiques devraient dans l’avenir nous amener à privilégier des modes de transport en commun autonomes. Mais beaucoup plus flexibles, comme des minibus circulant en continu, 24h sur 24.»

 
Plonger les enfants dans la pensée algorithmique

 
Big Brother guide nos actes. Des algorithmes s’infiltrent de plus en plus dans notre quotidien. Détectent nos centres d’intérêt. Utilisent le comportement de ceux qui nous ressemblent pour mieux nous cerner…

 
«Il faut que nos enfants ne se trouvent pas exilés du monde à venir et reçoivent dès leur plus jeune âge une formation solide à la pensée algorithmique», insiste le directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de l’ULB. «Ils doivent devenir bien davantage que de simples exécutants de leur vie programmée.»

 
«Il deviendra nécessaire de former de plus en plus de personnes à la compréhension et au développement des algorithmes. Il ne faudrait pourtant pas les faire trop à notre image. C’est au service de la collectivité qu’il devient urgent de les engager. Et leurs programmeurs aussi.»

 
Créer des programmes pour saisir leur fonctionnement

 
Créateurs d’algorithmes, Serge Abiteboul et Gilles Dowek montrent les limites de ces outils sophistiqués dans «Le temps des algorithmes» aux éditions Le Pommier.

 

«Le temps des algorithmes», par Serge Abiteboul et Gilles Dowek,  éditions Le Pommier, VP 17 euros.
«Le temps des algorithmes», par Serge Abiteboul et Gilles Dowek, éditions Le Pommier, VP 17 euros.

Les étudiants de ces professeurs à l’École normale supérieure de Paris-Saclay cessent de penser que les programmes informatiques sont doués d’intelligence dès qu’ils en créent eux-mêmes…

 

«Cette différence entre ceux qui savent comment le programme fonctionne et ceux qui ne le savent pas est illustrée par le fait que les étudiants qui ont programmé, par exemple, un robot, cherchent souvent à le tester dans des situations limites. Ils le mettent dans un labyrinthe sans sortie. Ils changent la forme du labyrinthe alors que le robot est en train d’en chercher la sortie. Ils lui font des croche-pieds pour voir s’il retrouve son équilibre. Pour eux, rien de plus naturel que de tester leur système. Pour ceux qui, en revanche, regardent cela de l’extérieur, ces traitements semblent d’une grande cruauté.»

 
Pour le pire ou le meilleur

 
Dans leur livre, les professeurs, directeurs de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, répondent aux questions de société posées par les algorithmes. Comme la disparition d’emplois devenus obsolètes. La transformation de l’organisation du travail. Les atteintes à la vie privée. La responsabilité des algorithmes qui décident à tort d’acheter ou de vendre des produits financiers…

 
«Plutôt que d’accuser inutilement les algorithmes, la solution passe par l’instauration de nouvelles règles d’organisation des marchés financiers, qui tiennent compte des spécificités des algorithmes. Il faut aussi que ces nouvelles règles incitent les banques à se recentrer sur leur rôle historique d’organisation du marché de l’épargne. Plutôt que de miser sur des gains à court terme que permettent ces algorithmes.»

 

Les chercheurs concluent que «Les algorithmes peuvent conduire au pire ou au meilleur. Mais nous ne devons jamais oublier qu’ils n’ont, en eux-mêmes, aucune intention. Ils ont été conçus par des êtres humains. Ils sont ce que nous avons voulu qu’ils soient.»

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