Paul Dujardin, directeur du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. © TEDx Brussels / Scorpix
Paul Dujardin, directeur du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. © TEDx Brussels / Scorpix

En Science comme en Culture, le brassage d’idées est indispensable

24 décembre 2014
Par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 8 min

INTERVIEW

 

Culture et Science sont intimement liées. Paul Dujardin, le directeur du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en est le premier convaincu. Début décembre, il accueillait à BOZAR la sixième édition de la grande conférence « TEDx Brussels ».

 

Le principe en est simple. Tout au long de la journée, des orateurs issus de multiples horizons viennent présenter leurs initiatives technologiques, sociétales, artistiques, scientifiques. Ils proposent leurs points de vue, leurs visions. Bref, on y expose « des idées qui méritent d’être partagées », pour reprendre la philosophie première de ces réunions nées aux Etats-Unis. Les TEDx Brussels, attirent les foules. Bozar était « complet » pour cette sixième édition. Un phénomène de société ?

 

Paul Dujardin, quelle est l’utilité d’une manifestation comme TEDx Brussels ?

 

TEDx Brussels se devait d’être hébergé à BOZAR. Cela cadre parfaitement avec notre mission. Le Palais (des Beaux-Arts) est le lieu idéal pour de tels brassages d’idées. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le Monde est devenu plus complexe. A l’époque, l’innovation, les technologies et l’art étaient plus intriquées que maintenant.

 

Je constate qu’aujourd’hui, les ingénieurs et les artistes ne se fréquentent que très difficilement. Les universitaires sont trop verticaux, trop spécialisés. Il faut d’autres perspectives. « Je devrais faire une OPA sur BOZAR », me disait Rik Torfs, le Recteur de la KULeuven. Pour nous, disposer d’un tel lieu est une vraie force.

 

Paul Dujardin (BOZAR). © TEDx Brussels/Scorpix
Paul Dujardin (BOZAR). © TEDx Brussels/Scorpix

Ce type de grandes réunions, les conférences du Collège Belgique, les rencontres de « Liège Creatives », bref, toutes ces manifestations qui brassent des idées face à un public nombreux, c’est une nouvelle religion ?

 

La nouvelle messe ? Non, cela existe depuis des dizaines d’années. Les forums ont toujours fait partie de BOZAR. Si ces lieux n’existaient pas, on les créerait.

 

Pour se nourrir d’idées, d’avis, d’expériences, le côté « live » restera toujours important. Le digital est le réseau de l’avenir. Mais le côté humain des relations est primordial. Le théâtre continuera à exister. La difficulté, c’est de marier tous les genres: le « live », le digital, le papier. Le livre ne va pas disparaître. Pour moi, c’est clair, la “BOZAR experience” (théâtre, conférence, concerts, etc) reste fondamentale. Cela permet de vivre des événements ensemble. Il faut un bon équilibre entre ce qu’on vit ensemble et ce qu’on expérimente de manière individuelle.

 

Nous constatons aujourd’hui un net élargissement de la Culture à toute les classes sociales dû notamment à une augmentation du niveau moyen d’éducation des gens. Nous sommes dans un monde de « life long learning ». Nos parents, quand ils accédaient à la retraite, se cantonnaient à « la danse des canards ». Aujourd’hui, nous avons un public extrêmement éduqué qui continue à s’informer, à s’intéresser à des questions de société. Il faut continuer à créer cette transversalité à BOZAR, mais aussi au niveau de l’Europe. Il faut éviter le repli sur soi. Grâce à de grandes initiatives européennes comme les programmes Erasmus, la chaîne de télévision Arte, tout cela doit continuer.

 

Bruxelles est-elle la plaque tournante du débat d’idées en Europe ?

 

Nous ne sommes pas le centre du monde. Si on regarde le monde depuis l’Asie, nous sommes même plutôt le Far West. Nous ne serons jamais Paris ou Londres. Mais nous avons une chance formidable : nous sommes la capitale de l’Europe. Pour le Palais des Beaux-Arts, c’est fantastique. C’est une source de réseaux et de débats.

 

Nous pouvons réunir des personnes éclectiques, d’horizons différents, qui réfléchissent à l’avenir, qui veulent aller « au-delà ». Comme les artistes, il s’agit, en matière d’innovation, de repousser les limites, tout en reconnaissant ses racines. La culture et la science forment avec l’économie et la politique un ensemble harmonieux. Si on rompt cet équilibre, on génère une société en crise.

 

TEDx Brussels, décembre 2014. © Scorpix
TEDx Brussels, décembre 2014. © Scorpix
Cet équilibre n’est-il pas en train de se rompre, aujourd’hui, en Belgique ?

 

En ce qui concerne la Recherche, nous devons être au top. Dans le même temps, nous devons offrir la possibilité au plus grand nombre de faire des études, d’évoluer vers le haut. Dans ce cadre, le modèle belge, en terme de qualité de vie, n’est pas si mal. Et là, on est sur un autre modèle que celui qui existe aux Etats-Unis.

 

Mais le pays devient très complexe. Je ne vois aucun citoyen capable d’objectiver le problème. Tout le monde à raison. Oui, il faut faire certaines réformes. Oui, il faut garder des ponts entre les différentes communautés du pays. C’est toujours plus facile de le dire en tant que consultant. Ensuite, cela dépend très fort des hommes et des femmes au pouvoir, capables de mettre ces réformes en œuvre.

 

Il y a eu un homme dans ce pays, que je n’ai pas eu la chance de connaitre personnellement et qui était de cette trempe : Herman Liebaers, le chef de cabinet du Roi Baudouin était un homme formidable. Il avait avant cela été conservateur de la Bibliothèque Royale de Belgique. Dans les années 1970, il a été commissaire royal chargé d’orchestrer la grande réforme du pays. Une réforme qui ne s’est jamais faite, mais qui prenait pourtant en compte tous les aspects indispensables à sa réussite : les aspects politiques, économiques, scientifiques et artistiques.

 

Pour réussir de grandes réformes, il faut des hommes capables de tout prendre en main. Aujourd’hui, avec cinq gouvernements dans ce pays, cela devient très, trop complexe.

 

Ceux qui gouvernent effectivement la Belgique aujourd’hui, c’est l’Europe. Elle exerce une pression énorme sur les Etats. Quand j’entends Pierre Moscovici (Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière) dire que la Belgique doit encore faire des efforts supplémentaires, cela m’inquiète. Je crains que les chercheurs et les artistes, seront ceux qui vont être le plus touchés.  

 

Paul Dujardin directeur de BOZAR. © TEDx Brussels/Scorpix
Paul Dujardin directeur de BOZAR. © TEDx Brussels/Scorpix

 

Le gouvernement fédéral actuel a un programme qui dérange et mobilise pas mal de citoyens. Pensez-vous qu’il faille de grandes réformes dans le secteur de la Culture, de la Recherche scientifique ?

 

Toute réforme est bonne si on peut convaincre de sa pertinence. Qui dit réformes, dit aussi empathie, compréhension, écoute et solidarité…

 

L’arrivée de la N-VA crée un mouvement dans l’échiquier politique. On est à un moment clé. Le danger, c’est qu’un « analphabétisme » ambiant règne dans le dossier scientifique et culturel. Il est devenu tellement complexe depuis les réformes de l’état, que toute une génération n’est plus capable de l’appréhender. Plus personne n’a de véritable vue sur l’autre communauté. Ce n’est pas une remarque négative. C’est juste un état de fait.

 

Quelles solutions entrevoyez-vous pour réconcilier les citoyens et le monde politique ?

 

J’ai toujours eu une approche des problèmes assez horizontale C’est très compliqué pour les gens de la culture de se faire entendre. Je voudrais que ce soit constructif. Le Palais a un rôle essentiel à jouer dans ce cadre. Nous sommes l’endroit idéal pour assurer le brassage d’idées, pour organiser des forums encore plus interdisciplinaires.

 

Une expérience intéressante et concluante a été menée chez nous dans le cadre du secteur pénitentiaire. A priori cela ne nous concerne pas. Mais nous avons réussi à faire se rencontrer et à se parler des personnes d’horizons très différents concernées à de degrés divers par ce projet avant d’entamer la construction de quatre nouveaux établissements pénitentiaires dans le pays. Cette transversalité, cette horizontalité a, je pense, permis d’ébaucher de meilleures solutions.

 

Le Palais des Beaux Arts est bien sûr un centre d’art, comme il en existait après la Deuxième Guerre mondiale. C’est aussi, à mes yeux, un lieu de débats où des milieux très diversifiés peuvent se reconnecter, débattre et apprendre.

 

Cette vision humaniste de la société doit bien entendu dépasser le cadre des frontières ?

 

C’est tout le débat sur la migration. Il faut se méfier du repli sur soi. La migration est un moyen qui permet d’avoir une nouvelle vision, un nouveau regard sur le monde. Nous regardons trop la planète de manière transatlantique.

 

Pour moi, le lieu le plus créatif sur Terre, c’est le bassin méditerranéen avec son mélange de cultures byzantine, grecque, ottomane, égyptienne, romaine , ibérique, etc.

 

C’est une source incroyable de créativité. J’estime que la migration doit être régularisée. Ce débat ne doit pas être que politique ou économique. Sinon, c’est une catastrophe pour la créativité.

 

Un homme politique est aussi un éclusier. Il doit faire entrer la juste quantité de ressources. Les écluses sont aujourd’hui un peu trop closes. Pourquoi ? Parce qu’on a peur de l’avenir. Aujourd’hui, l’Europe a un sérieux problème. Y compris pour les matières scientifiques et artistiques. C’est un grand danger, cela peut amener à un « clash » des civilisations… et des religions. Le danger existe bel et bien. Rien n’est jamais acquis. Il faut se méfier des apparences. Et la culture sera toujours une partie de ce grand débat. La science également.

 

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