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Les machines moléculaires : petites mais robustes

26 avril 2018
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Mille fois plus petites que la largeur d’un cheveu… Leur taille défie tous nos sens communs. Et pourtant, les machines moléculaires façonnent la vie. En s’étirant et se contractant, ce sont elles qui permettent les mouvements des muscles.

Notre ADN en regorge. Inspirés par ces structures biologiques particulières, des chercheurs synthétisent au laboratoire des machines moléculaires artificielles de plus en plus complexes. Elles sont capables de bouger de façon contrôlée sous l’action d’un signal externe – chimique, photochimique ou électronique – modifiant l’équilibre des forces entre les atomes. Une équipe de l’ULiège s’est penchée sur les oligorotaxanes, une famille particulière de machines moléculaires.

Les balbutiements du moteur moléculaire

En 2016, le prix Nobel de chimie a récompensé l’émergence des machines moléculaires. Il a ainsi été attribué au Français Jean-Pierre Sauvage, au Britannique Fraser Stoddart et au Néerlandais Bernard Feringa. Le jury expliquait alors que les trois chercheurs lauréats «ont amené les systèmes moléculaires vers des états où, remplis d’énergie, leurs mouvements peuvent être contrôlés. Le moteur moléculaire se trouve aujourd’hui au même stade que le moteur électrique dans les années 1830, lorsque les scientifiques exposaient des manivelles et des roues, sans savoir que cela mènerait aux trains électriques, au lave-linge, aux ventilateurs et aux mixeurs.» C’est dire le caractère révolutionnaire des minuscules machines moléculaires.

Des caténanes aux oligorotaxanes

Historiquement, Jean-Pierre Sauvage, professeur à l’Université de Strasbourg, a été le premier à imaginer et à concevoir des machines moléculaires. Il a entrelacé deux molécules en forme d’anneau pour former une chaîne, appelée « caténane ». Ensuite, Fraser Stoddart, professeur à la Northwestern University (Etats-Unis) a créé un « rotaxane ». Pour ce faire, il a enfilé une bague moléculaire sur un axe moléculaire fin et a démontré que la bague était en mesure de se déplacer le long de l’axe. Cette découverte lui a permis de créer un ascenseur et un premier prototype de muscle moléculaires. Quelques années plus tard, les chercheurs qui lui ont succédé ont ensuite combiné les rotaxanes avec les caténanes : ils sont parvenus à synthétiser des oligorotaxanes, des molécules dans lesquelles un axe moléculaire et replié en serpentin et passe au travers d’une série d’anneaux.

 

 

Ces molécules complexes ont été étudiées sous de nombreuses coutures par le Laboratoire Nanochem  de l’Université de Liège.

L’art du mimétisme

Les oligorotaxanes sont des molécules dites foldamères : elles sont capables de se replier pour former des structures 3D particulières. Et par là, de mimer les propriétés des protéines naturelles – ou de parties de ces dernières – qui, elles aussi, se replient.

« Le repliement des molécules est un processus omniprésent que la nature utilise pour contrôler la conformation de ses machines moléculaires afin d’effectuer des tâches chimiques et mécaniques comme la contraction des muscles ou le transport cellulaire, explique la Pre Anne-Sophie Duwez, directrice du laboratoire Nanochem.

Quant aux oligorotaxanes de synthèse, le repliement leur confère une robustesse supérieure à celle des protéines naturelles, comme l’explique la scientifique.

 

Pour objectiver cette robustesse, les chercheurs liégeois ont « tiré » sur ces oligorotaxanes synthétiques à l’aide d’un microscope à force atomique pour les forcer à se déplier en rompant les interactions qui maintenaient la structure repliée. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Nature Nanotechnology .

« A l’avenir, nous continuerons à étudier les oligorotaxanes afin de les caractériser encore un peu mieux et d’aller jusqu’au bout de la caractérisation de leur performance », la spécialiste mondiale de la mesure des propriétés mécaniques à l’échelle moléculaire.

Demain, des muscles synthétiques ?

Dans l’état actuel des connaissances, les oligorotaxanes synthétiques ont le potentiel pour dépasser la performance des protéines repliées naturelles. Quelles pourraient être leurs applications futures ? « Vu qu’on essaie de reproduire de façon synthétique ce que la nature fait, les oligorothaxanes pourraient jouer un rôle dans toutes les applications qui nécessitent des propriétés mécaniques importantes. Comme par exemple la création de muscles artificiels. Même si c’est encore loin de la réalité, c’est quelque chose qu’on peut envisager à long terme dans le domaine général des machines moléculaires. »

Parmi les autres applications folles auxquelles pourraient conduire les nano-machines, toute configuration ou forme confondue, citons la création d’ordinateurs moléculaires. En stockant les données dans un disque dur nanoscopique, on pourrait parvenir à être quelque mille fois plus économe en ressources qu’aujourd’hui.

Les nano-machines suscitent aussi beaucoup d’espoir en médecine, notamment via la création de médicaments hyper-ciblés. Imaginez une molécule anti-tumorale qui s’attaquerait exclusivement à la tumeur et laisserait donc les cellules saines intactes. Ou encore un antibiotique qui ne s’active que lorsqu’il entre dans la zone d’utilité du corps et devient naturellement inactif en dehors de cette zone. De quoi éviter que la molécule ne pollue l’environnement, même après avoir été excrétée. A côté des avantages thérapeutiques, le diagnostic pourrait aussi être rendu plus précis grâce à des robots capables de détecter précocement des maladies.

Portée par le boom des nano-machines, la robotique moléculaire sera, aux dires du comité Nobel 2016, « un des domaines scientifiques majeurs du futur. »

Une course de voitures moléculaires en 2021

Anne-Sophie Duwez est impliquée dans l’organisation d’une course européenne de voitures de taille nanométrique. La première édition a eu lieu l’an dernier. Elle était exclusivement dédiée aux voitures moléculaires roulant sous vide. C’est Bernard Feringa, professeur à l’Université de Groningue (Pays-Bas), et troisième nobelisé en 2016, qui a conçu le premier « moteur moléculaire ». Cette invention lui a permis de créer ensuite la première nano-voiture, mille fois plus petite que le micromètre. Munie de quatre roues motrices, elle peut se déplacer et transporter des « charges » en utilisant une énergie chimique ou électrique.

La prochaine édition, prévue en 2021, va s’ouvrir aux nano-véhicules capables de fonctionner en solution ou dans l’air. « On y participera si on parvient à s’associer avec quelqu’un qui synthétise des voitures fonctionnant en milieu liquide » conclut la professeure Duwez.

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