A Oslo, Stéphanie Hody lutte contre les courbatures

27 juillet 2018
par Marie Thieffry
Durée de lecture : 6 min

SERIE (5/6) WBI donne des ailes aux chercheurs

Chercheuse et professeur au département des Sciences de la motricité au service de physiologie de l’effort physique (ULiège), Stéphanie Hody s’intéresse particulièrement à un trouble connu de tous : les courbatures…

Comment est né cet intérêt pour la science du sport et du corps ?

J’ai toujours été passionnée par les sciences fondamentales et les sciences du sport en particulier. En 2003, je me suis inscrite en licence d’éducation physique à l’ULiège. Pour mon mémoire de master, je me suis lancée dans la biochimie musculaire. Grâce à ce travail, j’ai pu étudier les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents aux courbatures…Sportive moi-même – je fais beaucoup de course à pied – les courbatures, ça me connaît ! C’est une problématique qui touche tout le monde, de la personne la plus sédentaire au sportif de haut niveau. Ces douleurs musculaires d’apparition retardée et d’intensité variable sont désignées scientifiquement par l’acronyme « DOMS » pour « Delayed-Onset Muscle Soreness ». Elles sont le reflet de microlésions de l’ultrastructure musculaire.

Ces « DOMS » apparaissent lorsqu’on réalise un exercice inhabituel qui demande des contractions particulières : les contractions excentriques. Celles-ci se caractérisent par le développement d’une tension musculaire associée à l’étirement concomitant du complexe musculo-tendineux. Tous les jours, nous effectuons des actions dites excentriques. Lorsque l’on soulève un livre, par exemple, le biceps va diminuer en longueur pour l’attraper, mais ensuite pour le poser, le muscle va plutôt se contracter et s’allonger. Cette association paradoxale des phénomènes opposés d’allongement musculo-tendineux et de développement tensionnel, c’est la « phase de freinage » qui caractérise la contraction excentrique. Ce mode de contraction est passionnant. Il présente de surcroît des intérêts cliniques, notamment dans la rééducation de diverses pathologies de l’appareil locomoteur comme les tendinopathies ou des maladies chroniques telles que les pathologies neuromusculaires. Bien qu’elles disparaissent généralement spontanément après quelques jours de récupération, les « DOMS » retardent souvent la mise en route de programmes de réadaptation ou d’entraînement sportif.

C’est pourquoi vous avez décidé de vous lancer dans une thèse sur le sujet.

J’ai eu la chance de bénéficier d’un mandat d’aspirant FNRS pour faire ma thèse au GIGA de l’ULiège. Pendant ma thèse, comme on étudiait les courbatures, il fallait provoquer les douleurs sur quelqu’un pour les analyser ! Nous avons fait appel à des cobayes chez qui nous étudiions par biopsie l’expression des protéines musculaire par une technologie de pointe appelée la protéomique. Grâce à ces analyses, nous avons pu mettre en évidence des modifications de l’expression de nombreuses de ces protéines. Nos travaux se sont également intéressés aux variabilités interindividuelles : certaines personnes sont en effet plus sensibles aux microlésions musculaires induites par les contractions excentriques que d’autres.

J’ai pu observer qu’un entraînement excentrique induisait des modifications dans la typologie musculaire sur le long terme. Avec des efforts répétés, le muscule s’habitue et devient plus résistant aux microlésions musculaires. Ce sont les différentes fibres qui le composent qui évoluent. Comprendre ce mécanisme pourrait aboutir à la mise au point d’interventions thérapeutiques efficaces et d’autre part, à élucider les évènements moléculaires impliqués dans des conditions pathologiques telles que les myalgies et certaines maladies neuromusculaires.

Pourquoi avoir choisi de réaliser une partie de votre carrière à l’étranger ?

Après avoir défendu ma thèse en 2012, j’ai continué à travailler pendant quatre ans comme assistante à l’ULiège. Mes travaux ont été récompensés par le Prix Coers 2013 décerné par l’académie royale de Belgique.

En 2016, j’ai soumis un sujet de postdoctorat et obtenu une bourse de « Wallonie-Bruxelles International » (WBI) qui me permettait de poursuivre mes recherches à l’étranger. Je suis alors partie en Norvège, à l’école norvégienne des Sciences du Sport à Oslo, dans le département de la Performance physique du professeur Truls Raastad.

Un des avantages de cet Institut réside dans la qualité et la proximité de l’équipement mis à disposition du chercheur sur place : laboratoire de physiologie, pièce d’entrainement avec tapis roulant et machines à efforts. Mais aussi de quoi réaliser les biopsies, un véritable laboratoire de biologie moléculaire et d’histologie, un microscope à fluorescence, un laboratoire de biomécanique… La dynamique de travail au sein de l’équipe était très stimulante.

Ce fut une étape importante, dans mes recherches comme dans ma vie. Il est bon d’aller voir un peu ce qui se passe ailleurs qu’en Belgique : j’ai découvert de nouveaux laboratoires, de nouvelles cultures scientifiques. C’est également un moment privilégié qui m’a permis d’étendre mon réseau de relations scientifiques, là où j’étais une des rares spécialistes en la matière à Liège.

Avez-vous rencontré des difficultés durant votre expatriation ?

Pas tellement… C’est vrai que la vie est chère sur Oslo, surtout les logements. A certains moments, il n’est pas toujours évident d’être loin de sa famille et de ses amis, surtout à des étapes importantes de la vie. Mais le temps est passé vite. J’habitais chez une famille norvégienne, c’était très chaleureux. J’ai pu ainsi « goûter » un pan de la culture norvégienne en mangeant beaucoup de saumon et de poisson ! Mais au bout d’un moment, on sature un peu…

Mis à part ça, je n’ai que du positif en tête. J’avais alors 31 ans, c’était la première fois que je partais aussi longtemps. Je n’ai pourtant pas été dépaysée. Oslo est une capitale assez calme et verte, tout le monde part travailler principalement à vélo, puis à pied ou en transport en commun. Les Norvégiens ont une méthode de travail très efficace : quand ils travaillent, ils travaillent ! La qualité de vie est aussi centrale : l’ambiance est décontractée malgré cette exigence de travail. C’est l’équilibre entre professionnel et personnel qui est capital.

Comment s’est déroulé le retour en Belgique ?

Lorsque je suis rentrée en Belgique, reprendre la voiture m’a fait très bizarre. La nature, le ciel bleu et l’air frais d’Oslo me manquent encore beaucoup. Je garde encore contact avec les membres du laboratoire, certains des « expats » et les personnes chez qui j’ai logé pendant mon séjour. En Norvège, les gens n’ont pas l’air de « courir » après le temps, ne semblent ni stressés, ni fatigués…comme ici.

Le poste que j’occupe depuis février 2018 représente une nouvelle étape dans ma vie de chercheuse et me plaît énormément : c’est un métier varié, entre l’enseignement, la gestion d’un laboratoire et la recherche. J’envisage d’y retourner en septembre à Oslo, pour discuter de nouveaux projets de collaboration. J’ai deux nouveaux projets en tête, dont un qui a pour objectif d’étudier l’effet de l’exercice physique sur la masse et la fonction musculaire de patients atteints du cancer. J’aimerais en effet orienter mes recherches vers la physiopathologie de la fibre musculaire. De nouvelles recherches qui me feront, j’espère, voyager à nouveau…

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