Les îles ne sont pas systématiquement des culs-de-sac évolutifs

28 octobre 2014
par Elise Dubuisson
Durée de lecture : 5 min

La théorie de Darwin qui veut que les îles constituent des culs-de-sac évolutifs et migratoires est mise à mal par des recherches menées à Liège. Alain Vanderpoorten, chercheur au sein de l’unité de biologie de l’évolution et de la conservation de l’Institut Botanique en veut pour preuve le cas des bryophytes, des plantes qui se dispersent facilement.
 

« Sur les îles, on retrouve beaucoup d’espèces endémiques affichant des caractéristiques propres liées à la localisation insulaire », explique Alain Vanderpoorten. « Il y a peu de compétition et de prédation, ces espèces perdent donc souvent la capacité de se défendre et de se disperser. C’est ce qu’on appelle des syndromes insulaires ».

 
Des espèces plus menacées sur les îles
 
Particularité des espèces insulaires : elles occupent des écosystèmes menacés et sont moins à même de s’adapter à de nouvelles conditions de vie. Ce qui en fait des espèces particulièrement menacées, contraintes de rester sur leurs îles. Les spécialistes disent donc des îles qu’elles sont « des culs-de-sac migratoires et évolutifs » dont il serait impossible de ressortir.
 

« Nous nous sommes plus précisément intéressés aux bryophytes, des plantes à spores très mobiles qui sont parmi les premières à avoir colonisé la terre ferme », reprend Alain Vanderpoorten. « Ces plantes ont une très grande capacité de dispersion. On pourrait donc s’attendre à ce qu’elles ne soient pas trop impactées par cette menace. Notre objectif : confirmer ou infirmer la théorie des culs-de-sac migratoires et évolutifs ».
 

Bryophytes terrestres vs bryophytes insulaires
 

Pour ce faire, Alain Vanderpoorten et ses collègues ont comparé des bryophytes terrestres et des bryophytes insulaires des îles océaniques du milieu de l’Atlantique. Première constatation : un changement du mode de reproduction !
 

« Sur les îles, les bryophytes ont perdu leur sexualité, elles ont adopté une reproduction clonale où un fragment de tissu d’un individu « mère » va se régénérer ailleurs. Un moyen de reproduction qui est plus adapté sur des courtes distances ».
 

La théorie de l’évolution insulaire semble donc se vérifier… Mais c’est sans compter sur la diversité génétique de ces populations.
 

Diversité génétique et flux migratoires
 

Dans un second temps, les chercheurs se sont penchés sur la structure et la diversité génétiques des bryophytes insulaires et continentales.
 

« Il est difficile d’étudier la mobilité des bryophytes à l’œil nu. On est obligé de passer par une analyse indirecte qui repose sur la structure et la diversité génétique des espèces », explique le chercheur. « Si la structure génétique entre populations insulaires et continentales est forte, c’est que ces populations sont fortement différenciées : soit elles ne possèdent pas les mêmes allèles, soit elles possèdent des allèles identiques mais avec des fréquences très différentes. Une telle structure indique que les fréquences alléliques ne sont pas homogénéisées par les flux migratoires entre populations, et suggère par conséquent que la migration entre populations est faible ».
 

Et c’est là que les résultats deviennent intéressants puisque ces chercheurs ont constaté que :

     

  • – la diversité génétique est plus grande sur les îles que sur le continent. « En désaccord flagrant avec les attendus de la théorie des îles selon laquelle les flux migratoires se font à sens unique et en de très rares occasions depuis les continents vers les îles »;
  • – les flux migratoires sont identiques sur les îles et sur le continent.

« Deux résultats qui remettent en cause la théorie des culs-de-sac évolutifs ! Et qui peuvent s’expliquer par plusieurs hypothèses :

     

  1. Le climat sur les îles est plus stable que sur le continent grâce à l’effet tampon de la mer.
  2. Quand on pense île, on pense petite surface mais au dernier maximum glaciaire, les îles étaient en fait beaucoup plus grandes.
  3. Lorsque le niveau de la mer était plus bas, les îles étaient regroupées en chapelets qui connectaient les îles et le continent.
  4. Dans l’Atlantique Nord, les courants aériens dominants étaient fortement orientés des îles vers le continent lors du dernier maximum glaciaire.

 
Les îles, réservoirs de biodiversité
 
Alain Vanderpoorten et ses collègues s’attachent aujourd’hui à vérifier une nouvelle hypothèse : « Nous essayons de savoir s’il est possible de considérer les îles comme des moteurs de spéciation qui seraient capables de participer à la repopulation des continents ».
 
Une idée qui n’est pas dénuée de sens. « En observant les populations de bryophytes de la façade atlantique, nous avons constaté qu’elles étaient très riches. Et fait plus intéressant, certaines espèces sont caractéristiques de l’Amérique du sud… »
 

bryophytes BLes chercheurs ont dès lors tenté de déterminer l’origine des bryophytes de la façade atlantique à l’aide de leur structure génétique. « Nos résultats  montrent que les populations de bryophytes ont migré en faisant une étape sur les îles. Une sorte de pause qui leur permettait de s’adapter à un nouveau climat pas trop différent de leur climat d’origine avant de rejoindre l’Europe où le climat est nettement différent. Une étape qui rend possible la colonisation de l’Europe par de nouvelles espèces».
 
La théorie de Darwin bouleversée
 
Les résultats obtenus à Liège bouleversent la théorie des culs-de-sac évolutifs de Darwin. « Si la théorie de Darwin est valable et vérifiée pour des espèces iconiques, nos recherches montrent qu’elle ne l’est pas pour toutes les espèces», estime Alain Vanderpoorten.
 
« Mais l’idée n’est pas uniquement de vérifier ou infirmer une hypothèse. Il s’agit aussi de sensibiliser les scientifiques et le grand public à l’importance de la biodiversité des îles. Assurer leur protection est primordial afin de protéger notre propre biodiversité », conclut le chercheur.
 

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