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Dormir, rêver, veiller : quels rapports les religions entretiennent-elles avec la nuit?

29 mars 2016
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Quelle place réservent les religions à la question du sommeil, de la veille, du rêve? Cette interrogation était au centre de la dernière journée du dialogue interreligieux organisée par l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses de l’Université Saint-Louis, à Bruxelles. Trois intervenants, spécialistes de trois religions différentes, étaient invités par le professeur de philosophie Raphaël Gély (U.Saint-Louis) à apporter leur éclairage à ce propos.

 

Celui d’Alexis Lavis, concernant le bouddhisme, pointe bien les différentes perspectives que la veille ou le sommeil peuvent revêtir.

 

“Dans une société de plus en plus insomniaque, il nous semblait pertinent de réinterroger la place du sommeil, mais aussi du rêve et de la veille dans la dynamique profonde de nos existences”, indique le Pr Gély, organisateur de cette journée. “Il est nécessaire de retrouver la profondeur de ces dimensions essentielles, leur richesse, leurs différents niveaux de sens.” Le chercheur a fait mouche : la salle était pleine

 

S’éveiller, dans tous les sens du terme



 

Au départ de la physiologie (oui, nous devons dormir chaque nuit) et de dimensions anthropologiques, les chercheurs ont dressé un tableau de la nuit nuancé. “Pendant la nuit, le corps humain rêve, veille”, dit le Pr Gély. “Il s’éveille même, dans tous les sens du terme”.

 

Cette dichotomie entre veille et sommeil, rêve et libération de toute tension psychologique, entre sommeil profond et sommeil paradoxal n’est pas superficielle. Le chercheur français Alexis Lavis, spécialiste du Bouddhisme du Grand véhicule, traducteur sanscrit-chinois, et membre de l’École occidentale de méditation, le montre bien.

 

Bouddha, “l’Éveillé”

 

“S’il y a bien une religion ou cette notion d’éveil qui s’oppose au sommeil est centrale, c’est le Bouddhisme”, concède-t-il. “En sanscrit, Bouddha signifie l’éveillé, celui qui sort du sommeil. Et la notion de sommeil ici n’est pas à prendre comme une coupure avec le reste du monde. Il caractérise un état d’âme actif et non déconnecté. Le sujet qui sommeille est éveillé, mais son rapport au monde est totalement transformé…”

 

Dans le Bouddhisme tantrique, il est même possible de se livrer à la pratique du yoga pendant le rêve. “Il est possible de s’éveiller dans son rêve”, précise Alexis Lavis. “Une présence à soi peut demeurer et on peut influer sur le cours du rêve. Par exemple, pratiquer la méditation”.

 

“Cette notion d’éveil est surtout l’apanage du bouddhisme du Grand véhicule”, précise le spécialiste. “C’est le Sûtra du Lotus qui scelle les deux perspectives du Bouddhisme.”

 



Le Nirvana ou l’éveil profond?

 

“Le Petit Véhicule cherche le Nirvana pour faire cesser le cauchemar. Nirvana veut dire arrêt, cessation, en sanscrit. La perspective du Nirvana est celle d’une ambition du sommeil profond tandis que l’ambition du Bodhisattva est celle de l’éveil profond. On passe de l’ambition du Nirvana à celui de l’éveil”.

 

“C’est une métaphore, celle de l’appel du large. On quitte la rive presque au fond du sommeil pour gagner un espace sans repères et sans territoires. Il s’agit d’une inspiration fondamentale du Mahayana (le Bouddhisme du Grand véhicule), une découverte du monde de la veille. On devient presque des exilés qui naviguent en pleine mer, sans voir les côtes”.

 

Il s’agit donc d’un renversement de perspective.

“Le Petit véhicule aspire au repos après une vie vertueuse, sobre, ascétique. C’est l’économie de l’arrêt. Les symboles du Petit véhicule ne sont autres que les 4 petits singes qui se cachent les yeux, les oreilles, la bouche et le sexe”, rappelle le chercheur.

 

Préparer un “éveil au carré”



 

Dans Mahayana, le Grand véhicule, toutes les perspectives tendent à s’éveiller davantage, à se risquer davantage, dans un monde de moins en moins repérable. 

Les différents cycles proposés par le Grand véhicule visent à approfondir le caractère éveillé de l’existence, son ouverture à la possibilité du risque, à l’angoisse, etc. On en finit donc avec le Nirvana.

 

“On prépare le Bodhisattva à prendre la mer. Il passe par plusieurs phases de préparation. Tout cela pour arriver à la découverte d’une veille profonde, un éveil au carré. C’est cela que veut dire le mot Bouddha. Un mot qui se termine par la lettre “a”. Une lettre qui signifie que l’être n’est plus que cela, un être exclusivement éveillé”.

 

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