Urbanisme montois à Haïti

30 juillet 2019
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Série (2/5) : Sciences Nord-Sud

Niché dans la mer des Caraïbes, Haïti est régulièrement secoué par des tremblements de terre. Chaque année, le pays est également balayé par les ouragans tropicaux. Avec une densité de population de plus de 400 personnes au km², le pays doit répondre à une pression démographique importante. Tels sont les principaux enjeux auxquels doivent faire face les administrations responsables de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme du pays.

Port-au-Prince, bidonvilles et villas.
Port-au-Prince, bidonvilles et villas.

Faute de formation sur place, les Haïtiens mettent en œuvre des solutions importées, souvent non adaptées aux aléas naturels et sociaux du territoire. C’est pourquoi une équipe de chercheurs de l’Université de Mons, en collaboration avec l’ULiège et l’Université d’État de Haïti, s’investit depuis plus d’un an dans un projet de formation qui concerne des aménageurs haïtiens, par des Haïtiens, sur le territoire haïtien.

Un projet construit selon la réalité haïtienne

Pierre Cornut, professeur d’urbanisme à la Faculté d’architecture et d’urbanisme de l’UMONS, et coordinateur du projet, explique que l’idée de cette formation est née après le séjour de Pascal Simoens, initiateur et partenaire du projet. « Il était parti à Haïti dans le cadre de la reconstruction de Port-au-Prince après le séisme de 2010, particulièrement destructeur. On estime que pour une agglomération de 152 km², 70% des bâtiments ont été totalement détruits ou très endommagés. De nombreuses constructions n’ont pas tenu le coup en partie à cause de l’aménagement rural et urbain inadapté », ajoute-t-il.

La raison réside dans l’absence de formation de type master à Haïti dans l’aménagement des espaces urbains. Les rares professionnels formés sont par conséquent instruits à l’étranger, où les méthodes enseignées ne sont pas toujours efficaces devant les enjeux climatiques, sismiques et sociaux du territoire haïtien.

Tenir compte aussi des « croyances » locales

Depuis 2018, les chercheurs du projet proposent de ce fait une formation universitaire en urbanisme et aménagement du territoire à destination des locaux, adaptée aux besoins et à la réalité du pays.
« Plus globalement, la gestion des infrastructures d’une commune, que cela soit les égouts, la distribution d’eau, ou les routes, ne peut se faire correctement si on ne réfléchit pas à l’agencement des quartiers. Il y a une réelle demande de la part des administrations de disposer d’experts locaux dans ce domaine » souligne le docteur en sciences géographiques.

Port-au-Prince, immeubles en travaux.
Port-au-Prince, immeubles en travaux.

Les bureaux d’urbanisme étrangers sont généralement les seuls à répondre aux appels d’offres d’aménagement. Des bureaux qui n’apportent pas toujours des solutions en phase avec la culture du pays. « Un de ces bureaux a par exemple construit un nouveau quartier à Port-au-Prince après le séisme de 2010. Mais les architectes ont aménagé, sans le savoir, une zone considérée par les habitants comme maudite, il y a là-bas un problème de superstition, et donc personne ne veut y habiter ! »

Un lexique en créole propre à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme

La formation mise en place par le projet vise donc des Haïtiens qui travaillent déjà dans le secteur de l’aménagement du territoire. Elle prend la forme d’un Master de deux ans à horaire décalé, afin de permettre aux étudiants de concilier ces études avec leur vie professionnelle et familiale. Ils sont à ce jour une trentaine à clôturer leur première année.

L’enseignement est donné en français, mais aussi dans la langue locale, le créole, car seule une minorité de la population parle couramment français. « L’un des objectifs du projet vise d’ailleurs à créer un lexique en créole propre à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme. La formation étant nouvelle à Haïti, de nombreux termes doivent en réalité être inventés dans la langue du pays ! »

Les cours sont donnés par des urbanistes haïtiens déjà formés. Les matières sont organisées à l’aide d’un professeur belge. Les cours sont coconstruits par douze binômes de professeurs belgo-haïtiens. « Une formation doctorale sera proposée à certains de ces professeurs haïtiens dans la suite du projet. Ainsi qu’aux étudiants les plus prometteurs. L’idée étant de créer une unité de recherche et d’enseignement en urbanisme et aménagement au sein de l’Université de Haïti », précise le géographe.
Des travaux de recherches sont déjà menés dans le cadre du Master, à travers des ateliers collaboratifs appelés « Kombit ». Tous les quatre mois, pendant deux semaines, les étudiants travaillent sur un projet d’aménagement, dans un quartier. Ces cas pratiques leur permettent de travailler directement sur le terrain.

L’urbanisme, outil d’apaisement des tensions sociales ?

« Nous espérons que les idées envisagées dans ces travaux d’étudiants seront creusées à l’avenir. Mais nous devons reconnaître que c’est un terrain d’étude compliqué. Principalement en raison des troubles sociopolitiques qui bloquent très souvent le pays ces derniers mois… »

Cette instabilité trouverait en partie son origine dans l’organisation de l’espace urbain. Six Haïtiens sur dix vivent aujourd’hui dans des grandes villes. Rien qu’à Port-au-Prince, on compte 2,5 millions d’habitants. Une surpopulation qui accentue inévitablement les tensions au sein de la population.

Selon les scientifiques, un aménagement pertinent du territoire apporterait une meilleure qualité de vie aux Haïtiens, et pourrait de cette façon améliorer les conditions politiques et sociales du pays. En plus d’apporter une meilleure résistance des quartiers face aux futurs événements climatiques et sismiques.
L’équipe de géographes, urbanistes et architectes belges prévoit de poursuivre leur collaboration avec les Haïtiens d’ici la fin du projet, en 2022.

« Une fois le laboratoire créé, nous envisageons de relancer un nouveau projet, de recherche cette fois-ci, afin de développer des solutions concrètes avec nos collègues locaux » indique encore le Dr Cornut.

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