Le congé de paternité, outil « d’égalisation » massive

2 mars 2020
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

Depuis juillet 2002, en Belgique, le congé de paternité est passé de trois jours à deux semaines. Quant au congé de maternité, il est de quinze semaines. Faut-il y voir une certaine forme de discrimination ? Ce n’est pas l’avis de la Dre Élise Dermine, professeure du droit du travail au centre de Droit public, de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Elle l’a exposé à l’occasion d’un événement organisé à la mémoire d’Éliane Vogel-Polsky, avocate et Professeure émérite d’histoire à l’ULB, qui milita notamment pour l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Gommer les inégalités entre pères biologiques et pères adoptifs

« D’un point de vue juridique, l’argument de la discrimination est vite balayé », explique la Pre Dermine. « Historiquement, le congé de maternité accordé aux femmes qui travaillent a été décidé afin de préserver leur santé. Ce qui ne concerne pas le congé de paternité. »

« Par contre, on pourrait estimer qu’il existe une certaine forme de discrimination entre les pères biologiques, qui bénéficient d’un congé de paternité de deux semaines lors de la naissance de leur enfant, et ceux qui deviennent des pères adoptifs. Ces derniers se voient, en effet, allouer un congé d’adoption de six semaines, qui peut être augmenté de cinq semaines suivant certaines dispositions. »

Pour gommer cette discrimination à l’égard des pères biologiques, constatée par un avis de la Cour européenne des droits de l’homme, Élise Dermine propose tout simplement un allongement du congé de paternité. Plusieurs projets de loi, en Belgique, sont actuellement à l’étude dans ce contexte.

Divers effets positifs pour les mères

Cette analyse juridique, liée à l’arrivée d’un nouvel enfant au sein d’une famille, était une des approches concernant la thématique du congé de paternité évoquée à l’ULB. Ce qu’on retiendra de cet exercice interdisciplinaire, c’est incontestablement l’argument économique en faveur de ce congé, développé par Ilan Tojerow, chercheur du Centre de recherche d’économie appliquée de la Solvay Brussels School of Economics and Management (DULBEA), de l’ULB.

Il constate tout d’abord que la maternité induit aujourd’hui encore et quasi systématiquement une baisse de revenu structurelle chez les femmes. « Une baisse de revenu telle qu’elles ne reviendront jamais, durant leur carrière, au niveau de salaire qu’elles avaient avant de donner naissance à leur premier enfant », constate le Dr Tojerow. Deux chiffres pour fixer les idées. En Allemagne, cette chute de revenus est de l’ordre de 60 %, pour 53 % en Autriche. « Et nous constatons un effet identique, mais dans une moindre mesure, dans d’autres pays d’Europe comme le Danemark ou l’Angleterre », précise-t-il.

Amélioration de la santé et espacement des naissances

Dans son étude menée en Belgique avec le doctorant Sébastien Fontenay, Ilan Tojerow a également analysé les effets économiques que la présence du jeune père bénéficiant d’un congé de paternité pouvait avoir sur la santé de la jeune mère, à court comme à moyen terme. Il s’intéresse au « taux d’invalidité » de la mère.

« Le congé de paternité a clairement un effet positif sur la santé des mères », souligne-t-il.« Leur taux d’invalidité diminue d’11 % en moyenne. » Et quand il regarde les chiffres sur douze mois après la naissance, il constate une diminution de 32 % du nombre de jours d’incapacité de travail des mères.

Qu’est-ce qui expliquerait cet effet bénéfique du congé de paternité sur la santé des femmes ? « Notre hypothèse est que si le père est effectivement présent autour du moment de la naissance, même si cela ne dure que deux semaines, la technologie liée aux soins à apporter aux enfants est apprise par les deux parents. Ce qui a un impact à long terme, y compris sur la santé des mères », indique-t-il.

Autre constat de son étude: l’espacement des naissances au sein des familles est plus important chez les couples où le père bénéficie d’un congé de paternité. « Sans que toutefois cela ait une influence sur le nombre de naissances », indique encore Ilan Tojerow.

Moins de divorces ou de séparations

Le chercheur pointe encore d’autres effets bénéfiques du congé de paternité. « Au Danemark, un allongement de deux semaines du congé de paternité a un effet positif sur les revenus des mères », dit-il. « Un effet qui perdure jusqu’à 8 ans après la naissance. En Espagne, des collègues ont également pu montrer que le congé de paternité avait un effet positif sur le taux d’emploi des mères dans les mois qui suivent la naissance ».

Enfin, l’économiste pointe encore deux effets liés à ce congé. Dans les familles où le père est présent dans les jours qui suivent la naissance, il constate que celui-ci se consacre ensuite davantage aux tâches ménagères. Chez ces familles, le taux de séparation ou de divorce est moindre que chez celles où il n’est pas question de congé de paternité.

Changer collectivement la norme sociale

En Belgique, l’introduction du congé de paternité de dix jours remonte à juillet 2002. Quatre ans plus tard, en 2006, le législateur a également introduit le droit de garde alterné en cas de séparation des parents.

« L’objectif à long terme est de stimuler une meilleure répartition des tâches familiales entre les deux parents. Ce n’est pas simple », constate la Dre Claudine Marissal, historienne du Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des femmes (CARHIF).

« Aujourd’hui encore, ce sont les mères qui assurent l’essentiel de ces tâches au détriment de leurs activités sociales et professionnelles. Pour faire évoluer cette situation en profondeur, il faut engendrer un changement collectif de la norme sociale, faire disparaître les stéréotypes.  Dans ce contexte, le congé de paternité est un moyen parmi d’autres. Mais il n’est pas le seul susceptible d’entraîner ce changement de mentalité », conclut-elle.

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