Les longues peines privatives de liberté surpeuplent les prisons belges

2 mai 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Prisons en Belgique », par Philippe Mary. Éditions de l’Université de Bruxelles. VP 13 euros

Depuis près de 40 ans, Philippe Mary s’intéresse à l’univers carcéral. Le professeur au département d’Enseignement de la criminologie de l’ULB publie «Prisons en Belgique» aux Éditions de l’Université de Bruxelles.

Son livre relate l’histoire des prisons belges dès le XIXe siècle. Il s’inspire d’une bonne trentaine d’années de publications. II se revendique de la criminologie constructiviste.

«La criminologie constructiviste implique d’examiner comment les détenus, les délinquants, sont traités par la justice pénale», explique l’assistant social, licencié en sociologie, docteur en criminologie. «En gros, il s’agit de problématiser cette institution particulière de traitement de la délinquance qu’est la prison. C’est-à-dire de la décrire. D’étudier ses fonctions et ses usages. Ce qui suppose de distinguer la ou les fonctions assignées à celle-ci par les discours juridiques ou politiques et les usages qui en sont faits en pratique.»

Pas de surpopulation aux Pays-Bas

En Belgique, les prisons ont connu de nombreux changements depuis une cinquantaine d’années. «Ils ont cependant eu peu à voir avec une politique pénitentiaire, au sens classique de politique publique mise en place par un gouvernement», juge le professeur de pénologie et de politique pénale. «Tant l’intérêt politique pour la question des prisons a le plus souvent été réduit à la portion congrue.»

«Ce n’est qu’à partir des années 2000 que le politique a repris les rênes de l’action publique. Et, au fur et à mesure de cette implication nouvelle, le curseur s’est déplacé d’une réflexion critique sur la prison vers une gestion de flux de détenus. De la quête d’un projet politique à un management dont le pragmatisme confine parfois au cynisme. À peine masqué par le discours sur les droits des détenus.»

L’administration pénitentiaire belge est de plus en plus souvent confrontée aux problèmes de vétusté des bâtiments. Et de surpopulation. Pour Philippe Mary, l’augmentation des longues peines privatives de liberté en est la cause principale.

«Aux Pays-Bas, 31% des détenus se sont vu infliger une peine supérieure à 3 ans en 2014 contre 68% en Belgique. La population carcérale hollandaise a ensuite diminué au point de redevenir un cas unique en Europe. Grâce à des changements dans la politique pénale, dont un recours accru aux alternatives à l’emprisonnement, le taux de détention y est redescendu aux alentours de 50 détenus pour 100.000 habitants, permettant la fermeture de plusieurs établissements. Et le retour à la règle de l’encellulement individuel.»

La prison est un business

En Belgique, les 36 prisons comptaient 1.862 détenus de trop en 2019, relève la section belge de l’Observatoire international des prisons. Selon l’association, la surpopulation s’explique principalement par l’augmentation du recours à la détention préventive. L’allongement et le cumul des peines. Le recours davantage tardif et moindre à la libération conditionnelle.

Les syndicats tendent à imposer des règles de fonctionnement selon les effectifs présents. Le gouvernement renforce son programme de construction de nouvelles prisons en partenariat avec le secteur privé.

La peine privative de liberté est un enjeu économique. D’importants consortiums internationaux sont impliqués. Les technologies de surveillance électronique sont de plus en plus utilisées. Des multinationales s’intéressent au traitement psychiatrique des internés.

La prison est devenue un business… «Et même un business durable, nous faisant entrer de plain-pied dans cette ère de l’industrie de la punition, privatisation à la clé», souligne le Pr Mary.

«Dans le même temps toutefois, d’autres, comme nos voisins hollandais, conscients du coût public d’un tel business, font marche arrière sur une route que d’autres encore, comme nos voisins allemands, n’ont pas voulu emprunter. La preuve qu’il existe encore bel et bien d’autres formes de rationalisation ou de manières de travailler autrement pour peu que l’on considère que le problème n’est pas un manque de places en prison. Mais un trop grand nombre de détenus.»

Les droits des détenus

Parmi les détenus, «rares sont ceux qui peuvent prétendre à une détention dans de bonnes conditions matérielles et avec un régime d’activité digne de ce nom», constate Philippe Mary.

«La question pénitentiaire s’impose difficilement à l’agenda politique quand il est question des droits des détenus. Le sujet n’est pas très rentable politiquement, les groupes de pression sont peu nombreux et guère puissants. Les médias préfèrent généralement les faits divers dramatiques de l’univers carcéral. Et l’opinion publique est peu encline à se mobiliser pour des individus dont l’image est pour le moins négative. Et alimentée par maints stéréotypes».

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