Antarctique : l’effet de serre à la loupe

3 janvier 2018
par Céline Husson
Durée de lecture : 5 min

 

Banquise en formation  © Célia Sapart

Ils étaient 59 à bord du navire de recherche N.B. Palmer, un brise-glace américain. Parmi eux, six scientifiques belges. Tous sont glaciologues mais spécialisés dans différents domaines : biogéochimie, processus physiques dans la glace, océanographie, etc. PIPERS est le nom donné à cette expédition au Pôle Sud (Polynias, Ice Production and seasonal Evolution in the Ross Sea). Son but est de comprendre les interactions entre l’atmosphère, l’océan et la glace dans la mer de Ross. Celle-ci est une baie profonde de l’océan Austral en bordure de l’Antarctique. Son intérêt pour les chercheurs ? Elle est en grande partie recouverte de banquise, et contient des trous appelés « polynies » qui permettent la formation d’une partie de la banquise.

 

Un impact important sur l’atmosphère

Dr Célia Sapart © Célia Sapart

Le Dr Célia Sapart, chargée de recherches FRS-FNRS au laboratoire de glaciologie de l’ULB, fait partie de la mission PIPERS. Elle se spécialise dans les interactions entre la glace et l’atmosphère.

Dans le blog qu’elle a alimenté tout au long de son séjour, elle explique : « un des objectifs de notre équipe durant cette expédition est de quantifier la contribution de la banquise à l’effet de serre. Celui-ci est principalement provoqué par l’impact sur l’atmosphère du dioxyde de carbone (CO2), du méthane (CH4) et de l’oxyde nitreux (N2O). »

Quels sont les processus qui entraînent la formation de ces gaz dans la banquise ou dans l’eau sous-jacente ? Et comment ces gaz sont-ils rejetés vers l’atmosphère ou vers les fonds marins ?

C‘est pour répondre à ces questions que l’expédition a été menée au début du dernier hiver austral. Les mesures ont ainsi pu être effectuées à différents moments de la formation de la banquise.

À l’origine du réchauffement climatique

« Le but de mon travail sur cette mission est d’étudier le rôle de la banquise sur les émissions de méthane », précise le Dr Sapart.

C’est un cycle : le méthane, étant un puissant gaz à effet de serre, renforce le réchauffement climatique. Celui-ci provoque la fonte des glaces, ce qui libère dans certains cas du méthane en quantités importantes.

Ce phénomène est connu en ce qui concerne la fonte du permafrost (la partie permanente des glaces), mais ce n’est pas le cas en ce qui concerne la fonte de la banquise.

Une quantification complexe

Le Pr Jean-Louis Tison et le Dr Gauthier Carnat, membres de l’équipe belge, en train de forer la glace © Célia Sapart

« Nous avons effectué en continu des mesures des concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et dans l’eau de surface. De plus, nous sommes descendus plusieurs fois sur la banquise pour y forer et en extraire des carottes de glace, que nous analysons dans nos laboratoires. »

Quantifier le processus est très compliqué et, à l’heure actuelle, aucune donnée n’existe pour l’Antarctique.

« Nous sortions régulièrement sur la banquise pour forer et analyser la glace, mais effectuions régulièrement des mesures d’eau, de glace et d’atmosphère à bord. Certaines machines fonctionnaient 24h sur 24. Lors des sorties sur la banquise, nous restions parfois 10 ou 12 heures sur la glace. Une fois de retour sur le bateau, il fallait traiter les mesures réalisées, parfois très rapidement. Alcalinité, pH, salinité. Ensuite, seulement, quelques heures de sommeil. C’était non-stop », explique-t-elle.

Des échanges enrichissants

65 jours en mer, c’est une expérience de vie. 65 jours en mer sur un navire de recherche, dans des conditions de froid extrême, sur un bateau inconfortable, c’est un défi.

Les chercheurs présents sur le N.B. Palmer ne sont pas tous là pour travailler sur le même sujet. Cette situation permet de voir naître des discussions passionnantes, et même des conférences.

« Les rencontres faites à bord étaient vraiment enrichissantes ce qui a fait de cette expédition une très belle aventure humaine et scientifique », raconte la chercheuse.

L’équipe belge © Célia Sapart

Une concentration de méthane importante

La mission PIPERS avait notamment pour objectif de comprendre le processus complet de création du méthane.

Des mesures atmosphériques du méthane au-dessus de l’océan Arctique ont été réalisées il y a quelques années. Celles-ci ont indiqué des concentrations plus importantes de méthane sur les zones partiellement recouvertes de banquise.

Les chercheurs ont alors mis en avant pour la première fois le rôle potentiel de la banquise comme source de méthane.

Des instincts confirmés

Les premiers résultats de la mission PIPERS semblent présenter ce même phénomène mystérieux en Antarctique. L’analyse des carottes de glace récoltées permettra de savoir comment le méthane a été créé.

« Accumulation physique de méthane au moment où la banquise se forme, ou au sein de la banquise ? Ou encore issu de l’activité biologique de certains microorganismes ? Mon hypothèse privilégiée est que nous sommes en présence d’une source de méthane qui n’a encore jamais été identifiée », explique la chercheuse.

La difficulté majeure pour comprendre le rôle de la banquise comme source potentielle de méthane et d’autres gaz est que la glace est un système complexe. Parfois perméable, il est influencé par les saisons, par l’évolution du climat et par les masses d’eau sous-jacentes. Physique, géologie, biologie : toutes les disciplines ont un rôle. D’où l’utilité d’une équipe multidisciplinaire pour l’étudier.

 De retour en Belgique, l’équipe de l’ULB se concentre sur les prélèvements réalisés – quelques centaines de kilos de glace. Elles sont partagées entre les chambres froides du laboratoire de glaciologie de l’ULB et des hangars frigorifiques industriels. Les prélèvements d’eau ont été quant à eux envoyés chez les océanographes de l’Université de Liège. L’étude de ces différents échantillons complétera celles effectuées sur le bateau.

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