Aux origines du zéro

3 mai 2022
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

La boucle d’oreille, un coquillage ou le point au milieu du front qui sublime la beauté des femmes en Inde? L’origine du zéro que nous utilisons en mathématiques plonge ses racines dans tous les continents, et dans toutes les époques. Des Sumériens aux Mayas, en passant par les Indiens du 7e siècle de notre ère, ou encore des mathématiciens arabes, l’histoire des chiffres et de la numération est riche.

Dans « Un Jour dans l’Histoire », l’émission historique et radiophonique de la RTBF (La Première), Laurent Dehossay et Yasmine Boudaka nous content l’histoire de ce « zéro », un chiffre qui est aussi un nombre. Un voyage éclairé par les explications très didactiques de Jean Doyen, professeur honoraire de mathématiques à l’Université Libre de Bruxelles.

Indiquer la présence d’une absence

« Le zéro indique la présence d’une absence », lance d’emblée le mathématicien. Et pour bien se faire comprendre, il propose de lire une date. « Prenons par exemple 2022. Le zéro indique qu’il n’y a pas de centaine à prendre en compte dans ce nombre », explique-t-il en substance, dans la première partie de l’émission. Et l’explication vaut aussi pour sa position dans le nombre. Dans le nombre 1300, sa place indique l’absence de dizaines et d’unités.

Ce qui nous semble aujourd’hui évident ne l’a cependant pas toujours été. Pourquoi et comment ce zéro est-il arrivé à s’imposer? Le scientifique et les deux journalistes de la RTBF nous entraînent dans un voyage qui remonte le temps et traverse l’espace. Un voyage à travers plusieurs systèmes de numération qui ont vu le jour dans le monde, qui ont été utilisés et qui ont aussi montré leurs limites conceptuelles et pratiques.

« Un système de numération permet de représenter un nombre entier à l’aide de symboles. Dans le nôtre, les dix symboles sont représentés par les symboles allant de 1 à 9, plus le zéro. Un chiffre donné à une valeur différente en fonction de la place qu’il occupe dans l’écriture. C’est un système de position. Sa mise au point a pris un temps énorme dans l’histoire », explique le mathématicien.

Des entailles dans des ossements africains

Les premières traces d’une certaine notion de numération remonteraient au Paléolithique, avec un os gravé de babouin doté de 29 entailles qui pourrait symboliser la durée approximative d’un mois lunaire. Plus près de nous, il y a tout de même 20.000 ans, l’os d’Ishango découvert en Afrique centrale et conservé au Muséum des Sciences naturelles de Bruxelles, présente des dizaines d’entailles réparties sur les trois faces de l’os. « Mon impression de mathématicien est que cet os est un embryon de calendrier », dit Jean Doyen.

Le scientifique continue ses bonds dans le temps. Dans l’Égypte ancienne, en écriture hiéroglyphique, sept symboles sont utilisés pour la numération. Mais ici aussi, nulle trace du zéro. Pas plus que dans les chiffres romains ou, avant eux, chez les anciens Grecs. Les Babyloniens avaient bien inventé un système de numération positionnel à deux chiffres, mais pas encore de zéro.

« A la fin de la période mésopotamienne, toutefois, les scribes avaient inventé un nouveau symbole, deux clous inclinés à 45 degrés signifiant une absence. Mais ce n’est pas encore le zéro », dit-il.  Ce symbole ne pouvant, en outre, pas être utilisé n’importe comment. Il ne pouvait apparaître qu’une seule fois dans un nombre et jamais à la fin. « Pas possible dès lors d’écrire 210, par exemple », explique Jean Doyen.

Cap sur l’Inde du 6e siècle

C’est du côté des Mayas qu’il faut rechercher une première véritable mise en service du zéro, sous l’apparence d’un glyphe en forme de coquillage (ou d’un oeil entrouvert). Mais ici aussi, l’efficacité du système de numération de base 20 approximative montre ses limites.

« Le véritable zéro apparaît au 6e siècle de notre ère en Inde », assure Jean Doyen, dans la deuxième partie de l’émission.

La création de notre système de numération, en base dix, avec zéro, apparaît pour la première fois dans un ouvrage du mathématicien Aryabhata. Le zéro y représente le vide, le creux, ou… la boucle d’oreille. Il peut aussi prendre la forme du point Bindu (en sanskrit), porté sur le front par les femmes indiennes et qui multiplierait par 10 leur beauté.

Notre zéro serait donc un chiffre indien, et non arabe? « L’origine est vraiment indienne », dit le mathématicien. « Mais l’histoire de l’empire musulman au 8e siècle a amené à l’adoption du système de numération développé en Inde. C’est ainsi qu’il est finalement arrivé en Occident », précise-t-il.

Et à propos, pourquoi le zéro s’appelle-t-il zéro ? « En Sanskrit, zéro se disait « shounia », le « vide », indique le mathématicien de l’ULB. Les musulmans ont repris cette notion de vide qui se traduit par Al sifr. Arrivé en Europe, au 12e siècle, cela s’est traduit en latin par « cifra » ou par zefiro, en Italie. Cifra est devenu au fil du temps le mot chiffre. Tandis que zefiro a évolué en zefro, et finalement en zéro. »

Haut depage