Photo pédagogique montrant deux soldats de la Première Guerre mondiale, l'un portant son masque à gaz, l'autre s'apprêtant à le mettre © Archives médicales militaires du “National Museum of Health & Medicine” (USA)

La micro-fluidique pour neutraliser le gaz moutarde en mer du Nord ?

3 juin 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

Forts d’une longue expertise dans le domaine émergent de la micro- et la méso-fluidique, les chercheurs du laboratoire CiTOS (Center for Integrated Technology and Organic Synthesis) au sein de l’Unité de Recherche Molsys de l’ULiège, viennent de mettre au point une plate-forme fluidique miniaturisée et sûre pour la neutralisation du gaz moutarde. Et ce, au moyen d’air, de lumière et de haute technologie.

Brûlure du dos par gaz moutarde durant la Première Guerre mondiale, une semaine après l’exposition au gaz © Archives médicales militaires du “National Museum of Health & Medicine” (USA)

Des cimetières de munitions toxiques en mer du Nord

Le sujet est d’actualité. En effet, l’an dernier, on apprenait que certaines des 35.000 tonnes de bombes et de grenades immergées au large de Knokke-Heist présentaient des signes d’écoulement d’explosifs. Des traces de gaz moutarde ont notamment été détectées dans le banc de sable environnant. Depuis, des appels à évacuer ou à neutraliser la décharge de munitions se sont multipliés.

Actuellement, pour neutraliser le gaz moutarde, l’armée belge utilise une méthode d’oxydation. Au moyen de solutions de type eau de javel, le gaz de combat est oxydé en un composé moins toxique. Mais « cela est très délicat à mettre en œuvre sur de gros stocks de gaz moutarde », explique Jean-Christophe Monbaliu, professeur de chimie organique à l’ULiège.

L’oxygène singulet en renfort

Au sein de son laboratoire CiTOS (Center for Integrated Technology and Organic Synthesis), et avec son équipe de chercheurs, il a mis au point un réacteur novateur et compact pour neutraliser chimiquement le gaz honni, reliquat de la Grande Guerre.

Le protocole de neutralisation n’utilise que des produits chimiques non-toxiques, largement disponibles et bon marché : l’oxygène de l’air, la lumière visible et du bleu de méthylène. Ce dernier composé est un photosensibilisateur synergisant qui aide la lumière à transformer l’oxygène de l’air en une version excitée de l’oxygène.

« Davantage oxydante et réactive, celle-ci a un pouvoir destructeur, au sens chimique du terme, beaucoup plus important. Lorsque le gaz moutarde est mis en sa présence, il se transforme en un composé moins toxique, non-vésicant et non listé comme cancérogène. Ce dernier peut ensuite être manipulé avec bien moins de risque et être détruit. Par exemple, incinéré. »

Un réacteur miniaturisé

Ce processus chimique simple et efficace se déroule dans un équipement miniaturisé ( sa taille est de 94 x 44 x 40 cm) et peu énergivore de haute technologie : un réacteur microfluidique. « Au sein de sa structure composée de tuyaux très fins, les réactifs circulent et sont soumis à des contraintes relativement uniques. On peut forcer leur réactivité et amener à des réactions, des transformations, qui se terminent bien plus rapidement que par les techniques communes de la chimie », poursuit-il.

Une demi-moutarde au laboratoire

Les tests réalisés en laboratoire n’ont bien sûr pas utilisé du véritable gaz moutarde. Cela est interdit. Pour contourner cette barrière, les chercheurs ont eu recours à une molécule simulant le gaz de combat et reconnue comme tel par tous les laboratoires militaires ou non militaires.«  C’est ce qu’on appelle une demi-moutarde : il ne lui manque qu’un atome pour être réellement du gaz moutarde. »

« Nous avons mis en œuvre des méthodes de chimie physique et de chimie quantique pour identifier ce qui caractérisait le gaz moutarde. Ensuite, nous avons comparé ces caractéristiques avec des composés plus simples et non listés comme étant des armes chimiques. De cette façon, deux « simulants » non-toxiques et disponibles commercialement ont été validés pour des tests d’optimisation. Sur base de quoi, nous avons ensuite développé le procédé d’oxydation pour la neutralisation du gaz moutarde. »

D’autres agents chimiques comme futures cibles

« Notre approche est novatrice, sûre et peut être rapidement déployée pour la neutralisation de gaz moutarde. Elle repose sur les propriétés inhérentes d’un réacteur fluidique de haute technologie et sur des conditions expérimentales soigneusement optimisées et simples, mais robustes », explique Pr Monbaliu.

 » Les aspects de la neutralisation d’armes de guerre chimiques liés à la sécurité, à la frugalité et à la faible empreinte écologique sont très particuliers et pourraient attirer l’attention non seulement des installations de recherche militaire, mais aussi des milieux de la chimie et du génie chimique en général, ainsi que du grand public, car ils répondent à un défi sociétal actuel, conclut Jean-Christophe Monbaliu. « Nous allons étendre ce protocole de neutralisation à d’autres agents de guerre chimique. » Comme le gaz sarin et le VX.

Le développement de cette technologie s’inscrit dans le cadre de l’engagement de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et dans la promotion d’une chimie verte et durable. Les autrices principales, Noémie Emmanuel et Pauline Bianchi du laboratoire CiTOS, sous la direction de Jean-Christophe M. Monbaliu, ont développé ce procédé en étroite collaboration avec le Dr Julien Legros de l’Université de Normandie (UNIROUEN).

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