Le numérique en renfort des digues fluviales

3 octobre 2019
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Avec trois fleuves et plus de cinquante rivières, la Belgique n’est pas à l’abri des inondations. Les rives de certains cours d’eau canalisés sont particulièrement exposées en cas de fortes précipitions. On parle de risques de « surverses ». Ces débordements peuvent rapidement conduire à la rupture des digues fluviales, aggravant du même coup l’inondation.

Carte des bassins hydrographiques belges – source FWB

Afin de mieux comprendre, et surtout de prévenir ce phénomène, plus de 54 expériences ont été menées au sein de l’unique laboratoire en Wallonie spécialisé dans la modélisation physique et numérique en hydraulique. Cette étude est supervisée par le Pr. Benjamin Dewals et le Dr. Sébastien Erpicum de l’Unité de recherche HECE  (Hydraulics in environmental and civil engineering) à l’ULiège.

Leurs observations ont été rassemblées en une base de données récemment mise à la disposition de la communauté scientifique internationale.

Un enjeu mondial

« Les ruptures des digues fluviales figurent comme une problématique mondiale puisque la majorité des cours d’eau dans le monde sont aujourd’hui endigués. Il existe aussi des ouvrages le long des barrages et des mers » précise le Docteur Sébastien Erpicum, chercheur au HECE.

Rupture de digue par surverse ©Université de Stanford

En cas de rupture, les conséquences varient. « Tout dépendra du cours d’eau, du volume d’eau présent et de l’endroit susceptible d’être inondé » nuance le Professeur Michel Pirotton, chercheur au HECE. « Si une brèche se formait, par exemple, sur une des digues du Canal Albert, on pourrait fermer une porte en amont. Il y aurait bien une inondation, mais elle resterait contrôlée et locale. En revanche, si une digue venait à rompre sur un cours d’eau aux Pays-Bas, un grand volume d’eau se déverserait sur des territoires situés en dessous du niveau de la mer jusqu’à stabilisation du niveau de part et d’autre de la brèche. Les pertes matérielles et humaines seraient alors très élevées ».

Afin d’anticiper au mieux les risques et les interventions à réaliser, il est primordial d’étudier les mécanismes à la base des formations de brèches.

En collaboration avec le Laboratoire d’Hydraulique Saint-Venant (Paris), les chercheurs Benjamin Dewals, Sébastien Erpicum, Michel Pirotton et Pierre Archambeau, aidés de plusieurs doctorants et étudiants, ont analysé la manière dont les digues fluviales s’effondrent en cas de surverse latérale : en passant par-dessus l’ouvrage, la force du courant est capable d’éroder les matériaux, lesquels sont emportés et finissent par créer une brèche. Elle est l’une des causes les plus courantes de rupture de digues.

Des inondations aux labos

La recherche s’est reposée sur la modélisation car il est impossible de mesurer in situ le phénomène. « Installer des instruments de surveillance sur les milliers de kilomètres de digues belges n’est pas envisageable », déclare le Dr Erpicum. « Et quand on se rend sur le site par après, on ne peut que constater les dégâts. Nous ignorons alors comment la surverse et la brèche se sont produites » poursuit le Pr Pirotton.

Les ingénieurs ont effectué une cinquantaine d’expériences reproduisant le débordement d’un cours d’eau le long de digues miniatures. « Nous avons étudié diverses configurations géométriques et hydrauliques en faisant varier la hauteur et l’épaisseur de la digue, ou encore le débit et la hauteur d’eau dans la rivière », précise Dr Erpicum.

Afin de mesurer l’évolution des dégâts occasionnés sous l’eau, les scientifiques ont développé une technique innovante de profilométrie laser. Celle-ci a permis de réaliser des reconstructions 3D à haute résolution de la géométrie de la brèche au cours du temps.

Les deux scientifiques soulignent qu’en dehors du système de mesure, la gestion même du modèle réduit est original et unique, vu sa complexité. « L’interaction entre la brèche et l’écoulement est complexe dans le cas des cours d’eau, car même s’il y a une brèche, un flux persistera dans la rivière. Il a fallu par ailleurs drainer la digue pour éviter sa rupture par érosion interne » explique Sébastien Erpicum. « L’eau continuera à s’écouler dans la rivière, tout en ayant la possibilité de s’engouffrer à droite ou à gauche à travers la brèche. L’écoulement devient alors bi- voire tridimensionnel » détaille à son tour Michel Pirotton.

À l’avenir, des risques de surverse plus fréquents

Une fois ces modèles de rupture de digues validés numériquement, les scientifiques s’attelleront à développer à l’avenir un logiciel permettant de prédire le comportement d’ouvrages réels. « L’objectif final reste de développer des outils numériques pour prévenir les risques lors de surverse sur des digues réelles. De façon à anticiper leurs conséquences et, au mieux, les éviter » indiquent les deux ingénieurs.

Il est d’autant plus urgent de s’y intéresser que le risque de surverse va probablement augmenter dans le futur. « La surverse est due à l’augmentation du niveau d’eau dans le cours d’eau, elle-même causée par de fortes précipitations. Et le changement climatique est susceptible de faire augmenter les débits », poursuivent les chercheurs.

Selon les scénarios les plus pessimistes de l’IRM, les hivers seront nettement plus pluvieux © IRM

Selon les scénarios les plus pessimistes de l’IRM, les hivers seront effectivement « nettement plus pluvieux et, en moyenne, aucune ou seulement une légère baisse de pluviosité est prévue en été ». Le SPF environnement  confirme que la Belgique « connaît une augmentation lente mais significative des quantités moyennes annuelles de précipitations. Une augmentation qui suit un profil linéaire de 5 mm par décennie ».

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