Le destin tragique de l’Ituri

4 octobre 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 5 min
"Ituri. Terre et identités sous tension", par Jean Omasombo Tshonda. Editions du MRAC. VN 0 euro
« Ituri. Terre et identités sous tension », par Jean Omasombo Tshonda. Editions du MRAC. VN 0 euro

Chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), professeur de science politique à l’Université de Kinshasa, Jean Omasombo Tshonda dirige l’étude «Ituri. Terre et identités sous tension». La version numérique de cette collaboration, entre chercheurs en République démocratique du Congo (RDC) et du MRAC, est disponible gratuitement sur le site de l’Africa Museum. Un des dix établissements scientifiques qui relèvent de la Politique scientifique fédérale belge (belspo).

Enrichie de photos, de cartes géographiques et de schémas, la monographie est issue du projet «Provinces». Soutenu financièrement par la Direction générale de la coopération belge au développement et à l’aide humanitaire. Coordonné par le Service histoire et politique du MRAC.

Une province en lutte depuis 20 ans

La rivière Ituri donne son nom à cette province de l’est de la RDC aux prises avec des groupes armés. Les contributeurs à l’étude ont scruté le passé de la région. Son organisation politique et administrative. Sa situation socio-économique.

«Depuis plus d’un siècle, son histoire est jalonnée de tragédies, où les plus puissants se disputent sa terre et ses habitants», précise Guido Gryseels, directeur général du MRAC. «Les turpitudes meurtrières du XIXe siècle finissant, parachevées au siècle suivant par la violence du processus d’occupation coloniale et ses interminables expéditions de soumission, ont pris la forme contemporaine d’une résurgence répétée de cycles conflictuels animés par des milices qui, depuis 20 ans, mettent en échec tous les efforts de pacification.»

L’Ituri a continuellement exigé de se soustraire aux dominations extérieures. À l’emprise de Kisangani, autrefois Stanleyville, chef-lieu administratif régional lors de la colonisation belge.

«La région y était parvenue, d’abord en 1962, à la suite de la première expérience de la décentralisation post-indépendance créant des nouvelles provinces au Congo», explique Jean Omasombo Tshonda. «Puis en 1999, pendant la rébellion déclenchée par le Rassemblement congolais pour la Démocratie/Kisangani-Mouvement de Libération. Ou encore en 2003-2004 sous l’administration spéciale intérimaire de l’Ituri. Et c’est finalement le 11 juillet 2015 que la province de l’Ituri était née. Libérée de la tutelle de Kisangani.»

D’importantes réserves aurifères

Réalisées avant 1960, des études géologiques ont révélé le potentiel des richesses naturelles de la région. Le sous-sol de l’Ituri renferme des dépôts substantiels de ressources minérales. Notamment en or, diamant, fer et métaux non ferreux. Mais aussi en pétrole. Avec le Haut-Uele, une province du nord-est de la RDC, l’Ituri contiendrait les réserves aurifères non exploitées les plus importantes au monde. Une grande partie de la province doit encore être prospectée.

«La province de l’Ituri reste attachée à un lourd héritage colonial qui aujourd’hui, suite à la pression démographique, devient la raison principale de nombreux conflits fonciers», relève le docteur en science politique (ULB). «En fait, dans un espace politique ouvert, la pression démographique se serait allégée par l’évacuation des excédents vers de nouvelles terres à l’ouest, suivant en cela le mouvement multiséculaire d’expansion-migration des peuplements. Mais le pouvoir colonial avait substitué, au modèle mobile d’occupation de l’espace, un principe d’assignation rigide doublement figé par une hyperfragmentation politique et une organisation verticale du pouvoir où l’autorité coutumière était reléguée aux bas échelons. De surcroît, il avait exacerbé des stéréotypes « essentialisant » accolés aux différents groupes d’occupants. Opposant Alur et Hema d’une part, et Lendu d’autre part.»

Des intentions humanitaires détournées

Le cacao procure aux planteurs des revenus supérieurs à ceux du café… «Il fait l’objet d’une véritable offensive à large échelle menée de l’arrière par un certain nombre d’instituts et d’associations philanthropiques anglo-saxons néolibéraux, à travers les agences nationales de développement, les ONG et plusieurs compagnies privées. Contrairement à l’image complaisante d’investisseurs visionnaires prêts à prendre des risques que conforte le rapport précité, ce mouvement illustre surtout leurs visées expansionnistes. Encouragées par la bonne tenue des cours de ces dernières années.»

Les buts humanitaires sont absorbés par la volonté d’investir de nouveaux marchés d’approvisionnement pour s’affranchir d’une trop forte dépendance à un pays fournisseur.

Selon l’étude, «le danger est qu’à terme, une fois les chaînes de valeur suffisamment consolidées, il soit loisible aux compagnies de mettre les États ou les régions en concurrence pour faire pression à la baisse sur les prix de production.»

"Guide des sources de l’histoire des colonisations - Belgique, Congo, Rwanda et Burundi", par P.-A. Tallier, M. Van Eeckenrode, P. Van Schuylenbergh. Editions Brepols. VP 62 euros, VN 0 euro
« Guide des sources de l’histoire des colonisations – Belgique, Congo, Rwanda et Burundi », par P.-A. Tallier, M. Van Eeckenrode, P. Van Schuylenbergh. Editions Brepols. VP 62 euros, VN 0 euro

Un guide pour consulter les archives coloniales

Pour faciliter les recherches sur la période coloniale en Afrique, le «Guide des sources de l’histoire des colonisations – Belgique, Congo, Rwanda et Burundi» chemine dans près de 20 km d’archives de 80 institutions belges.

Fruit d’un partenariat entre les Archives de l’État (https://search.arch.be/fr) et le MRAC, le travail d’une trentaine d’archivistes et d’historiens est publié par Brepols. Avec le soutien de la Politique scientifique fédérale et de la Fondation universitaire de Belgique. Belspo a financé la version numérique disponible en accès libre.

 

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