La surprotection parentale, est-elle le produit des sociétés inégalitaires ?

4 décembre 2020
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Le contexte socio-économique et la culture d’un pays influenceraient les comportements parentaux. C’est en tout cas l’hypothèse du projet SAFE-SORRY mené par Stijn Van Petegem, chercheur qualifié FNRS en psychologie du développement et de la famille (ULB). Il vise à déterminer si les attitudes surprotectrices des parents vis-à-vis de leur progéniture sont le fruit de pressions sociétales. L’étude, soutenue par une bourse du Conseil européen de la Recherche (Starting Grant ERC), sera menée à l’ULB durant 5 ans, en partenariat avec neuf autres universités de par le monde.

Le parentalité surprotectrice affecte enfants et parents

Il est naturel de vouloir protéger son enfant, de lui épargner des situations difficiles, ou de craindre pour sa santé. La parentalité se définit, néanmoins, comme « surprotectrice » quand ce degré de protection devient disproportionné par rapport au niveau « développemental » de l’enfant. C’est-à-dire par rapport à son développement psychosocial, émotionnel et cognitif.

« En clair, un parent qui refuse que son fils de 5 ans quitte seul le domicile n’est pas une attitude surprotectrice, car adaptée au contexte. A contrario, imposer cette règle à un adolescent de 16 ans en bonne santé est considéré comme inadapté, et donc surprotecteur », développe le Dr Stijn Van Petegem.

Notons que ce phénomène n’affecte qu’une minorité de parents. On ne peut donc pas parler de phénomène de société.

Peu de recherches se sont penchées sur cette problématique au sein de la population générale. « Jusqu’à présent, cette parentalité a surtout été étudiée dans des cas spécifiques comme, par exemple, des familles où l’un des enfants souffre d’un handicap. Une situation qui amène les parents à avoir des comportements surprotecteurs, avec des conséquences néfastes sur le développement de l’enfant. »

Parmi elles, citons un manque d’autonomie, des difficultés à faire face à des situations stressantes, voire des troubles anxieux, tels que la phobie sociale ou la dépression. « Notons que cette parentalité surprotectrice impacte aussi sur les parents. Elle peut, en effet, conduire, entre autres, au burn-out parental. »

700 parents d’ados à la loupe

Les causes expliquant ces comportements surprotecteurs sont multiples. La littérature sur le sujet s’est jusqu’ici particulièrement intéressée aux facteurs en lien avec l’enfant (sa personnalité, sa condition de santé, …), ou les parents (leur personnalité, leurs relations, leur propre éducation, etc.).

« L’idée de notre projet de recherche est d’analyser cette parentalité dans un contexte plus large. A savoir le contexte culturel et socio-économique d’une société, et d’évaluer si celui-ci intensifie ces comportements », explique le Dr Van Petegem.

Concrètement, l’impact de la situation socio-économique sur le phénomène sera étudié sur le long terme, via des observations et des questionnaires. Les chercheurs suivront durant trois ans un échantillon d’environ 700 Belges, parents d’adolescents en dernière année de secondaire.

« La fin de la scolarité est un moment charnière pour l’adolescent, qui opère une transition vers l’âge adulte. Soit en entamant des études supérieures, soit en intégrant le monde du travail. C’est une phase critique dans le contexte de la surprotection parentale », précise le responsable du projet.

Une mise sous pression qui varie d’une culture à l’autre

Les chercheurs comptent ensuite mener l’enquête dans dix pays différents (Belgique, France, Suisse, Suède, Norvège, Italie, Grèce, Croatie, Géorgie, et Australie).

« L’intérêt est de déterminer si la parentalité surprotectrice est plus répandue dans certaines cultures, et pourquoi », indique le Dr Van Petegem.

« Nous partons du postulat que de fortes inégalités socio-économiques au sein d’une société pourraient être un facteur déclenchant cette parentalité. Certaines recherches vont en tout cas dans ce sens. Aux États-Unis, par exemple, les inégalités sont marquées. Afin d’assurer à leurs enfants l’accès à l’université, réputée très onéreuse et sélective, et ainsi survivre au mieux dans une société économiquement précaire, les parents américains s’impliquent beaucoup dans la réussite scolaire de leurs enfants, et donc dans leur vie.»

L’étude cherchera aussi à établir si des spécificités culturelles façonnent les représentations parentales, et influencent les comportements de surprotection. « On abordera notamment les différences selon le genre du parent. Les attentes en termes de parentalité ne sont, en effet, pas forcément les mêmes vis-à-vis des mères », relève le chercheur.

À terme, le projet vise à identifier les éventuels facteurs de risque, mais aussi de résiliences. Expliquant pourquoi certains parents sont plus vulnérables que d’autres face à ces pressions socio-économiques et culturelles. Par ce projet, les chercheurs espèrent aider les familles à mieux résister à ces injonctions sociétales.

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