L’enseignement de demain : sur-mesure et bienveillant

5 février 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Réinventer les manières d’apprendre, voilà le leitmotiv de François Taddei. Chercheur en éducation, fondateur et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires, il ne cesse de défendre des approches éducatives innovantes. L’UCLouvain met à l’honneur son travail sur le partage des savoirs en lui décernant un doctorat honoris causa. Esquissons ensemble les traits de l’école du futur.

François Taddei © Alexis Haulot / UCLouvain

Daily Science (DS) :  Pour affronter les défis du futur, vous dites qu’il est crucial d’apprendre différemment afin de penser différemment. Le numérique, omniprésent dans les écoles sous forme d’ordinateurs et de tablettes, va-t-il permettre aux enfants d’y parvenir ?

François Taddei (FT) : « Si on remplace la craie par le PowerPoint ou le cahier par la tablette, mais que la pédagogie reste inchangée, on n’apprendra pas différemment. Je ne suis ni hyper-technophile ni hyper-technophobe , je pense qu’il faut faire de la recherche pour savoir quelle est la valeur ajoutée de tels dispositifs. La technologie peut mener aux « fake news » et à la manipulation, créer des formes de dépendance. Rien ne garantit qu’elle apporte beaucoup aux élèves. »

« Il faut s’interroger pour savoir si on utilise les bons dispositifs, qu’ils soient pédagogiques, digitaux, présentiels ou associés à tel ou tel développement de l’intelligence artificielle. Il faut réfléchir à de nouveaux usages et de nouvelles méthodes, adaptés à la fois aux besoins des jeunes et de la société et aux possibilités que le numérique peut apporter. Mais aussi faire une recherche scientifique participative, en discutant avec les enseignants, les parents ainsi qu’avec les jeunes. Ceux-ci ont beaucoup de choses à dire sur ce que ces technologies leur apportent et sur ce qu’elles leur coûtent, comme la privation de sommeil, l’irritabilité et la dépendance. »

« Hormis celles réalisées par les industries du numérique, il y a peu de recherches dans ce domaine. Or, c’est nécessaire. »

DS : Les objets numériques ont été placés entre les mains des élèves sans avoir vérifié préalablement leur innocuité. N’est-ce pas jouer aux apprentis sorciers ?

FT : « Les budgets consacrés à l’éducation en général, et à apprendre à l’heure du numérique en particulier, sont très faibles. Prélever un peu d’argent lors de la mise sur le marché des objets numériques permettrait de faire une recherche indépendante évaluant ces outils et leur innocuité. Intéressante et pertinente, elle mettrait en avant les dispositifs les plus vertueux, et non ceux soutenus par la meilleure campagne marketing. »

DS : Suite à la déferlante du numérique, certains pays scandinaves réfléchissent à arrêter l’apprentissage de l’écriture manuscrite et à la remplacer par l’apprentissage du clavier…Qu’en pensez-vous ?

FT : « Cela va dépendre des enfants. Selon les sciences cognitives, une partie des capacités d’apprentissage et de mémorisation sont liées au geste d’écriture. Mais, les enfants profondément dyslexiques ou dyspraxiques ont besoin d’autres manières d’apprendre, lesquelles passent par des dispositifs différents de ceux qui leur sont proposés actuellement et qui leur posent problème. »

«  Il n’y a pas de solution parfaite pour tous, mais des solutions adaptées à chacun. »

DS : Prônez-vous un enseignement sur-mesure pour chaque élève ?

FT : « Exactement. Ça me paraît essentiel. Prenons un exemple concret. Dans les années 50, le monde de l’aviation militaire était interpellé par le grand nombre d’accidents dans ses rangs. Il s’est d’abord interrogé pour savoir si les pilotes étaient adaptés au cockpit. Ils ont ainsi mesuré les pilotes, selon une quinzaine de paramètres. Sur les 4000 pilotes, aucun n’était moyen sur tous les paramètres. Au lieu de chercher des pilotes parfaits pour rentrer dans le cockpit, ils ont simplement choisi des cockpits adaptés à chacun des pilotes. Le nombre d’accidents s’est alors nettement amoindri.»

« S’adapter à l’humain, plutôt que lui imposer de s’adapter à un dispositif, est une nécessité. Chaque élève a des difficultés à un moment ou un autre. Il faut l’accompagner dans sa capacité à les dépasser et à réussir. Et ce, en faisant du sur-mesure, à tous les niveaux, de la maternelle à l’enseignement supérieur. »

DS : Quid du coût ? Ne risque-t-il pas d’être énorme ?

FT : « Pas forcément. Cela dépend de la façon de s’organiser. »

« En adaptant le modèle à chaque individu apprenant, même adulte, on crée des écoles inclusives, au sein desquelles beaucoup plus de gens réussissent. En Scandinavie et au Canada, il y a des programmes entiers formant les enseignants à mobiliser l’intelligence collective des adultes et des jeunes afin de réfléchir à comment s’organiser pour réussir tous ensemble. »

« Un des éléments-clés est de mettre, au centre des préoccupations, l’éthique de la sollicitude et la capacité à prendre soin. C’est un changement de paradigme éthique, mais ce n’est pas plus coûteux. Une étude hollandaise a montré qu’il est plus économique sur le long terme de prendre soin, et de prendre le temps de prendre soin. »

« Actuellement, nos institutions ne prennent pas soin, ou pas suffisamment. »

DS : Comment changer la donne ?

FT : Outre une évaluation indépendante montrant que financièrement, ça rapporte, il faut passer d’un système très hiérarchique et vertical à un système où on donne plus d’autonomie aux individus, où on les forme davantage et leur donne la possibilité de trouver du sens dans leur action. Quand on passe du modèle de contrôle au modèle de confiance, les résultats sont à chaque fois très bons. Et ce, quelle que soit la culture, fusse-t-elle aussi différente que celle d’Asie, d’Europe ou d’Amérique du Nord. »

«Mais attention, cette confiance ne se décrète pas, elle se noue. Si vous ne faites pas confiance à un enseignant, il aura du mal à avoir confiance en lui, à prodiguer de la confiance à ces élèves et, finalement, à faire naître, chez eux, la confiance en soi … »

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