Philippe Raxhon © Jean-Louis Massart

Philippe Raxhon, le Dan Brown belge

5 juillet 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Série (1/2) : ‘Chercheur et romancier’

« Le Complot des Philosophes », par Philippe Raxhon. Editions City. VP 8 euros

Il voulait changer de crèmerie. Pour ce faire, Philippe Raxhon, professeur ordinaire au sein du département des sciences historiques de l’ULiège, a pris la plume. Il écrit des thrillers sur fond d’une problématique universelle qui le tenaille : la mémoire du passé. La critique historique, qu’il enseigne depuis de nombreuses années, est l’arme utilisée par ses héros, tous deux historiens, pour passer au crible les énigmes qu’ils doivent résoudre. Alors que deux autres opus viennent compléter sa trilogie,  » Le complot des Philosophes « , son premier roman, est désormais disponible en poche aux éditions City.

Un riche foyer de réflexion critique

Sans rien dévoiler de l’intrigue, celui-ci prend corps au premier siècle de notre ère, avec comme point de départ une source historique émanant de Sénèque au sujet de Jésus. « L’existence physique ou non de ce personnage illustre de notre culture occidentale est un formidable foyer de réflexion critique. Les sources qui tournent autour de cette réflexion sont passionnantes pour l’historien, et propices à des interrogations fantastiques . En effet, il n’y a pas de sources directes de l’existence de ce personnage … mais il y a quand même un certain nombre de sources indirectes, légèrement postérieures. »

« Ajoutons à cela, ma passion pour la problématique de la mémoire. C’est-à-dire la façon dont on se souvient du passé, dont on se le représente. Dans le roman, j’explique que les représentations de la réalité sont plus fortes que la réalité elle-même. Il en va de même pour le passé : nous avons une image de nous et des autres en partie liée à la représentation que nous avons du passé. Mais sur quoi repose-t-elle vraiment ?  »

« La Solution Thalassa », par Philippe Raxhon. Editions City. VP 18 euros

Fiction et autobiographie s’entremêlent

Les personnages principaux sont deux historiens, deux chercheurs universitaires qui forment un duo. Professeur d’histoire à la Sorbonne, reconnu mondialement pour ses travaux, François Lapierre reçoit la visite de Laura Zante. Jeune docteure en histoire originaire de Palerme, elle lui demande de l’aide pour analyser une pièce historique inédite, qui pourrait bouleverser l’humanité.

« Dans un premier roman, inévitablement, il y a un côté autobiographique. Le sachant, j’ai pris soin de caricaturer le personnage masculin : il a plus de qualités et de défauts que moi. Quant au personnage féminin, il est vraisemblablement le personnage principal. C’est Laura Zante qui a la source, qui fait évoluer l’autre personnage, qui est le moteur de leur équipe. Dans le deuxième opus, « La Solution Thalassa« , j’ai d’ailleurs accentué sa place. »

Faux en histoire …

Dans ce deuxième ouvrage, également édité par City, le point départ, ce sont les faux en histoire. « C’est-à-dire les documents apocryphes, qui ne sont pas authentiques. C’est un des thèmes de mon cours de critique historique. Dans ce roman, l’adversaire des deux historiens maîtrise complètement la critique historique et l’instrumentalise. Au fil des pages, avec un poids mémoriel omniprésent qui est celui de la Shoah, on aborde comment un historien peut être en prise avec la réalité. »

« Le secret Descendance », par Philippe Raxhon. Librinova. VP 19,99 euros, VN 4,99 euros

… et ovnis

Dans  » Le secret descendance  » (auto-édité via Librinova), son dernier roman, le choix s’est porté sur deux thématiques chères au Pr Raxhon : la question des ovnis et la mémoire vive.

« L’affaire Roswell est un beau cas de figure d’information et de désinformation, intimement lié à la guerre froide entre l’URSS et les Etats-Unis, avec la disparition de certaines sources, notamment d’archives à la base de Roswell. L’autre thème du livre, c’est la mémoire vive, c’est-dire la mémoire de proximité, et en particulier celle de la dictature argentine entre 1976 et 1983. Pour l’explorer, j’emprunte la voie de la question des enfants disparus. Ceux-ci ont été kidnappés à des opposants au régime assassinés et ont été adoptés par des filières non-officielles. Aujourd’hui, en Argentine, des personnes de 40-50 ans ont passé toute leur vie dans une famille qui n’est pas la leur. Je connais fort bien ce pays pour y être allé souvent et avoir des liens personnels là-bas. »

Une souplesse d’écriture pour vulgariser la critique historique

C’est au tournant de la cinquantaine que Philippe Raxhon a pris la plume. Pourquoi écrire des romans quand on est historien ? « Il y a une souplesse d’écriture que la narration historienne n’a pas. Celle-ci impose de se plier à un certain nombre de cadres, d’avoir un discours neutre, sans place pour les métaphores, pour cette manière de dire les choses qui pourrait être allusive. »

« J’essaie d’avoir constamment le souci du détail et de la précision avec cette souplesse d’écriture qui est extrêmement plaisante. Je me sers de mes connaissances et de mes enseignements pour trouver des cas d’application non pas dans le réel, mais dans ce que le roman frise avec la réalité. Mes thrillers ne sont pas des essais scientifiques déguisés.»

Au fil des pages, l’auteur ponctue son roman de certains principes du métier d’historien pour qu’ils suscitent l’intérêt du lecteur. « La critique historique n’est pas qu’historienne, c’est avant tout une méthode rationnelle qui permet de déterminer si une source est pertinente ou pas. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est enseignée à toute la faculté de philosophie et lettres et aux sciences sociales, du moins à l’ULiège. Et autrefois, on l’enseignait aussi au droit. La critique historique est essentielle à une société comme la nôtre qui parie sur la raison, laquelle fut de tout temps en conflit avec l’irrationnel. Or dans la société actuelle, l’irrationnel revient littéralement en force. Si mes romans ne sont pas des livres à message, leur fond n’est pas que ludique. »

Des idées de recherche émergent

Le roman s’écrivant dans l’imaginaire, il permet d’emprunter des voies de réflexion situées en dehors de la méthode scientifique classique.

« Quand j’ai rédigé le Complots des Philosophes, quand j’ai construit le scénario, commencé à explorer, à nourrir les personnages et les dialogues, je me suis demandé si je n’avais pas raison. Si l’hypothèse décrite dans mon roman n’était pas plus crédible qu’on ne le pense. C’est-à-dire le rôle de Sénèque dans la diffusion du christianisme, et même son invention. En effet, en approfondissant le sujet, j’ai moi-même fait des découvertes bizarres, notamment par rapport à Saint Paul de Tarse et Saint Jean. Je me suis interrogé si ce n’était pas une piste intéressante à exploiter. Au fur et à mesure de la création littéraire, on est amené à vouloir approfondir un sujet. Cela donne des idées de recherche », conclut Pr Philippe Raxhon.

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