A 4.000 mètres sous les mers, place à l’aventure (scientifique)
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A 4.000 mètres sous les mers, place à l’aventure (scientifique)

Publié le 6 février 2017
par Christian Du Brulle

Dans les années 1960, aux États-Unis, on visait surtout la Lune: le programme « Apollo » était sur toutes les langues. « Moi, ce qui m’intéressait, c’était le fond des océans. Un autre type de territoire inconnu et inaccessible », confie le Pr Cindy van Dover. Pour cette spécialiste en biologie marine, l’aventure scientifique se situait sous la surface des mers du globe, pas sur une autre planète. Toute sa carrière lui a donné raison!

 

« La Lune est un objet d’étude fascinant », concède-t-elle. « Y détecter d’éventuelles formes de vie est un défi de taille. Si je me suis orientée vers les abysses, c’est parce que je savais qu’ils hébergeaient de la vie… Et qu’elle ne demandait qu’à être découverte », explique la scientifique qui, avec deux autres «savanturiers», reçoit aujourd’hui le grade de Docteur honoris causa de l’Université Catholique de Louvain (UCL).

 

Trente-cinq années de recherches… sous la surface

 

C’est d’abord avec un masque et un tuba que la jeune chercheuse de l’époque se jette à l’eau. Histoire de découvrir ce qui se situe juste sous la surface, là où la lumière pénètre aisément les flots. « Mais au cours de mes études, déjà au niveau du Master, j’ai été en contact avec les grandes profondeurs », confie-t-elle. Grâce à l’Alvin, le sous-marin de recherche américain capable de plonger à plus de 4000 mètres sous la surface, elle découvre les fonds profonds et leurs mystères, dès 1982.

 

Le sous-marin américain Alvin, au retour d'une mission dans les abysses. © Luis Lamar
Le sous-marin américain Alvin, au retour d'une mission dans les abysses. © Luis Lamar

 

« On parle de grands fonds à partir de 200 mètres, dit-elle, là où il fait continuellement noir. Pour moi, cela commence plutôt à 500 mètres sous la surface. Mais le plus intéressant est bien plus bas, vers les 3.000 à 4.000 mètres de profondeur ».

 

Bulle de lumière

 

« Les abysses représentent la majeure partie des habitats de notre planète », précise la scientifique qui y a consacré toute sa carrière. « Et on les connaît très peu ». Grâce à elle, ils sont désormais un peu moins mystérieux. « En tant qu’écologiste, je me devais d’aller voir de mes propres yeux l’objet de mes études ». Elle y a plongé des dizaines de fois. « Il reste beaucoup à explorer et à découvrir », confie-t-elle. « La bulle de lumière qui englobe l’Alvin offre un horizon assez limité. Et on se demande toujours si la découverte ne se situe pas juste au-delà. C’est cette dimension qui donne à l’exploration des fonds marins cette petite touche fascinante ».

 

Chimiosynthèse bactérienne

Pour étudier la biodiversité des grands fonds, le Dr van Dover, qui dirige le Duke University marine laboratory (USA) depuis 2006, plonge à de multiples reprises à bord de l’Alvin. Mieux encore, elle est la première femme à décrocher la licence de pilote de ce submersible. C’était en 1990.

 

« Je totalise 93 plongées avec l’Alvin », dit-elle, dont 48 comme pilote et commandant de bord ». Ces voyages vers les abysses lui ont permis de découvrir les sources hydrothermales, des sources d’eau chaude observées au niveau des dorsales océaniques, entre 500 et 5.000 mètres de profondeur. Ces oasis des grands fonds abritent une biodiversité luxuriante, basée sur la chimiosynthèse bactérienne. Vous avez dit « aventure scientifique »?

 

La vie qui carbure au sulfure

 

Le Dr Cindy Van Dover a permis de découvrir de nouvelles formes de vie marine, associées aux sources hydrothermales des grands fonds marins.

Jusque dans les années 70, on ignorait qu’il y avait des formes de vie autour de ces sources dépourvues d’oxygène et de lumière).

Les sources hydrothermales sont des cheminées expulsant des jets d’eau brûlante, chauffée par le magma sous-jacent. Cette eau contient notamment du sulfure d’hydrogène, mais aussi de nombreux éléments métalliques.

Les bactéries utilisent le sulfure d’hydrogène pour obtenir de l’énergie. Ces bactéries constituent la base de la chaine trophique. Différentes espèces sont associées à cet écosystème : le ver de Pompéi, le riftia (ce ver géant ne possédant ni bouche ni tube digestif et vivant en symbiose avec des bactéries qu’il héberge), le crabe hydrothermal, les palourdes géantes, des crevettes et poissons hydrothermaux, etc.

 

Inquiétudes dans les abysses

Les recherches du Dr van Dover, menées loin sous la surface des océans pendant des décennies, ont généré de nombreuses publications scientifiques. Mais également quelques constats inquiétants. Au plus profond des océans, les activités humaines commencent à laisser des traces. « Il y a d’abord la question des déchets. », souligne-t-elle. « On y retrouve quasi systématiquement des morceaux de plastique".

 

"Ensuite, il y a le problème du chalutage profond. La pêche aux espèces des abysses strie les fonds marins et détruit les récifs coralliens. Enfin, on parle de plus en plus d’exploitation minière à grande profondeur. Pour l’instant, nous sommes dans des phases de réflexion. Mais d’ici dix ans, certaines nations pourraient commencer à exploiter ces ressources ».

 

L’Autorité internationale des fonds marins, qui relève des Nations Unies, s’en préoccupe. Le Dr van Dover lui apporte son expertise, alors qu’une réglementation internationale est en préparation à ce propos. Son but: minimiser l’impact négatif des activités minières sur les écosystèmes des sources hydrothermales. Un défi pour la prochaine décennie…

 

La mer Rouge dans le collimateur

 

Le Dr Cindy Lee van Dover a encore du pain sur la planche, et de nombreux territoires à explorer. Découvrez pourquoi une mer encore bien mystérieuse aiguise aujourd’hui sa curiosité: les profondeurs de la mer Rouge. (Vidéo en anglais, avec des images de ses campagnes sous-marines).

 

Rendez-vous mardi avec trois scientifiques d’exception

 

L’UCL concède ce lundi le titre de Docteur honoris Causa à trois scientifiques. Outre le Dr van Dover, l’université met à l’honneur Eric Lander, un des pères du génome humain. C’est à son initiative que toutes les données liées au séquençage ont été mises en « open access ». Sans son intervention, des entreprises auraient privatisé ces données. Il a également créé une fondation attachée à l’université d’Harvard, laquelle, via le mécénat privé, emploie aujourd’hui plus de 3000 chercheurs.

Le troisième scientifique honoré s’appelle Sanjay Subrahmanyam. Cet historien indien, professeur d'histoire économique à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) est aussi professeur invité au Collège de France. Il est le chef de file de l’« histoire globale » ou histoire « connectée », courant historiographique qu’il a largement popularisé et qui offre une « vision multipolaire du monde ».

 

Envie de rencontrer et d’écouter ces trois scientifiques? Rien de plus simple. Ce mardi 7 février, à 19h30,  ils seront présents à BOZAR dans le cadre des Rendez-vous de l’UCL à Bruxelles. Dans une rencontre publique, ils détailleront leur aventure scientifique. L’UCL offre 2 x 25 places aux lecteurs de Daily Science pour cet événement. Intéressé-e ? Il suffit d’envoyer un mail à l’adresse ucl-events@uclouvain.be en précisant le nombre de places désirées.