Mettre l’économie et les technosciences au service de la justice sociale

6 décembre 2016
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
«Maîtriser le progrès économique et technique» par Philippe de Woot. Coll. L’Académie en poche - VP 7€, VN 3,99 €
«Maîtriser le progrès économique et technique» par Philippe de Woot. Coll. L’Académie en poche – VP 7€, VN 3,99 €

Économiste et juriste, Philippe de Woot (1) nous met en garde contre des systèmes qui transforment la société sans vrai débat démocratique. Le professeur à l’Université Catholique de Louvain (UCL) fait part de ses inquiétudes et de ses souhaits dans «Maîtriser le progrès économique et technique». Un essai de la collection L’Académie en poche.

«À l’âge des technosciences et de la globalisation économique, il faut retrouver les dimensions éthiques et politiques qui nous aideront à bénéficier pleinement de leurs promesses tout en évitant leurs dérives et leurs menaces. Un défi majeur du 21e siècle sera de mettre l’économie globale et les technosciences au service du développement durable. De la justice sociale et d’un surcroit d’humanisation. Influençant déjà l’évolution géologique, l’homme devient capable d’accélérer son évolution biologique. Laissera-t-il celle-ci prendre le pas sur son évolution culturelle, longue maturation de la conscience, de la sagesse et de la liberté?»
 
Reprendre l’économique en main
 
«L’approche néolibérale a progressivement séparé l’économique de l’éthique et du politique. La globalisation, l’accélération de la technoscience, le manque de régulation mondiale confèrent au système économique une autonomie et un pouvoir d’action sans précédent dont les démocraties commencent à perdre la maîtrise. En continuant à faire confiance au système économique actuel, nous semblons ignorer qu’une reprise en main radicale est nécessaire et urgente
 
L’économie mondialisée et numérique, les technosciences transforment la société… «À notre insu. Sans aucun débat démocratique digne de ce nom. Loin de proposer un projet sociétal et un avenir de progrès humain, ces systèmes contribuent à créer une société du risque et de la défiance qui, à la longue, pourrait mettre à mal notre régime politique et notre cohésion sociale. Le tsunami digital et ce qu’on appelle parfois l’ubérisation de l’économie imposent un rythme du changement toujours plus rapide. Et risquent de créer beaucoup de souffrance sociale.»
 
Un grand nombre de secteurs sont menacés: banque, assurance, transport, tourisme, hôtellerie, distribution… Le rapport présenté en 2016 au 46e forum économique mondial de Davos se limite aux trois prochaines années. Il prévoit une création de 2 millions d’emplois. Et… une destruction de 7 millions.
 
En Californie, dans la Silicon Valley, la Sinularity University se centre sur les biotechnologies et l’intelligence artificielle pour guider les entrepreneurs de demain dans les ruptures économiques, sociétales, politiques. Selon Ray Kurzweil, un des fondateurs de cette institution privée, les machines seront intellectuellement au même niveau que l’homme en 2030. Pour le dépasser ensuite…
 
«Les avancées technologiques ne sont pas automatiquement bénéfiques. Cette évolution risque de réduire le rôle de l’homme dans la création et la maîtrise de l’avenir. Elle nous oblige à réfléchir à la place de l’homme dans un monde numérisé. La génétique et l’informatique vont remplacer la lente évolution de l’humanité.»
 
Combler le déficit d’experts indépendants
 
Le membre de l’Académie royale de Belgique déplore que notre société du risque n’ait pas été capable de susciter des experts indépendants capables d’informer objectivement les citoyens, les politiques. D’évaluer les dangers des systèmes économiques et technologiques. De peser les ambivalences des innovations. De répondre aux inconditionnels du principe de précaution, aux marchands de doutes et de peurs. L’expertise ne peut pas être abandonnée aux experts autoproclamés, aux lobbies, aux entreprises qui défendent leurs intérêts en occultant les risques produits par des médicaments, pesticides, semences, hydrocarbures, produits financiers…
 
«La vraie question politique de notre temps est de savoir quel monde nous voulons construire ensemble avec les formidables ressources et les capacités créatrices dont nous disposons. Le problème-clé est de remettre dans le débat politique les problèmes du long terme afin de prendre les décisions qui s’imposent pour faire advenir un monde bénéfique pour l’humanité. Il importe d’enrichir la décision politique par l’apport de tous ceux qui préparent l’avenir, le mettent en œuvre, en subissent les conséquences négatives, réfléchissent à ses finalités
 

(1) Note: Cet article est un hommage à la mémoire de Philippe de Woot, décédé au mois de septembre dernier

Haut depage