Pour lutter contre les infections bactériennes, l’hôpital militaire mise sur la phagothérapie

7 janvier 2020
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Un traitement par phagothérapie administré pendant 85 jours par voie intraveineuse à un bébé d’un an souffrant d’une infection résistante aux antibiotiques a permis de le sauver. C’était au début 2019, aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain), à Bruxelles. « C’était une première », souligne Jean-Paul Pirnay, spécialiste de la phagothérapie à l’hôpital militaire Reine Astrid, de Neder-over-Heembeek (Bruxelles). L’hôpital militaire avait fourni les phages utilisés pour ce traitement.

Des virus pour remplacer les antibiotiques inefficaces ?

On le sait, l’augmentation des infections causées par des bactéries multirésistantes constitue un véritable problème de santé publique. Pour lutter contre ces bactéries, plus aucun antibiotique ne s’avère efficace. « Les patients qui souffrent d’une infection bactérienne de ce type sont très vulnérables », poursuit le Dr Jean-Paul Pirnay. « En Europe, 30.000 personnes sont mortes des suites d’une infection bactérienne en 2017 », rappelait-il lors d’un séminaire de microbiologie en lien avec les maladies infectieuses, organisé à l’hôpital Érasme (ULB).

La phagothérapie, soit l’administration de virus bactériophages (ou « phages » pour faire court), aurait-elle pu les sauver? La piste est séduisante. Elle est encore loin d’être une réalité largement disponible. Des problèmes scientifiques, mais également techniques et régulatoires doivent encore être résolus avant d’espérer pouvoir remplacer les antibiotiques par des virus bactériophages. « Mais la tendance va dans le bon sens », note le Dr Pirmay.

Un ADN qui fait éclater la bactérie

Comment agit le phage? « Il se compose d’une tête, qui renferme son ADN, d’une queue et d’un système de crochets qui lui permet de s’arrimer à une bactérie », explique le chercheur. « Le phage s’accroche à la bactérie et lui injecte alors son propre ADN tout en la forçant à le reproduire. La multiplication de cet ADN fait finalement éclater la bactérie sous l’effet de la pression, relâchant autant de nouveaux phages dans l’organisme. »

Contrairement à certains antibiotiques dits à « large spectre », les phages ont une action très spécifique. « Ils ne s’attaquent pas à diverses bactéries, mais seulement à un type précis d’entre elles », rappelle le chercheur. « Il faut donc disposer des bons phages pour éliminer des bactéries indésirables spécifiques ». Ce qui explique que les demandes adressées à l’hôpital militaire sont évaluées au cas pas cas.

Pas de dommages collatéraux

Cette spécificité constitue, par contre, un bel avantage pour ce type de traitement. Les phages n’occasionnent pas de dommages « collatéraux » quand ils sont utilisés. Ils ne tuent pas la flore intestinale des patients. Ni le microbiote présent sur la peau, par exemple, en cas de traitement de brûlures. Les « bonnes bactéries » présentes dans l’organisme sont ainsi préservées.

« Les phages ne font pas non plus tout le boulot », signale encore le chercheur. « Ils n’éradiquent pas complètement leur hôte, c’est-à-dire les bactéries qu’ils ciblent. Ils en ont besoin pour se reproduire. C’est donc au système immunitaire du patient d’éliminer les bactéries indésirables, affaiblies par les phages ».

Les phages n’auraient donc que des avantages? Pas si vite! Il faut d’abord les identifier, les caractériser et en générer des stocks. Depuis 2003, l’hôpital militaire Reine Astrid développe toute la chaîne de recherche concernant les phages. Mais pas au point de transformer cet hôpital en usine à phages, rappelait encore le chercheur. Seuls quelques types de phages y sont produits, en lien avec les infections liées à des blessures de type « militaire » (blessures par balles, brûlures, etc.).

Les phages ne sont pas « brevetables »

L’industrie pharmaceutique pourrait ici prendre le relais et étendre les indications pour lesquelles leur usage pourrait être développé. Encore faut-il que cela l’intéresse. Les phages, qui sont des organismes vivants, ne sont pas « brevetables »… Et il faut également s’assurer d’identifier les bons phages pour lutter contre des infections/des bactéries spécifiques. Ici aussi, la recherche n’a pas dit son dernier mot.

Cette alternative aux antibiotiques soulève toutefois l’intérêt des patients pour lesquels les antibiotiques ne s’avèrent plus efficaces. « En moyenne, nous recevons chaque jour une demande d’utilisation de nos phages », précise le Dr Pirnay.  Mais les conditions pour y avoir accès sont strictes. Ce n’est pas un médicament de routine! « Sur 260 demandes adressées à l’hôpital militaire, seuls 15 patients ont finalement pu bénéficier d’un traitement par phages.  Et cette année, nous nous attendons à recevoir plus de 400 demandes…»

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