L’océan étouffe

7 mars 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Depuis 1950, l’océan a perdu environ de 2 % de son contenu en oxygène. Cela représente environ 70 milliards de tonnes d’O2. Cette désoxygénation n’est pas homogène. Face à l’augmentation des zones hypoxiques, un consortium international de scientifiques, sous la houlette de Pre Marilaure Grégoire, professeure de modélisation océanographique (MAST, ULiège), appelle à créer une base de données mondiale unique et cohérente. Et ce, afin de suivre et de cartographier la perte d’oxygène en différents lieux, côtiers comme ouverts, de l’océan mondial.

Les points rouges représentent les zones côtières en hypoxie. Les points bleus, les zones e haute mer identifiées comme déficitaires en oxygène © Marilaure Grégoire et al. – Cliquer pour agrandir

Hypoxie des eaux côtières

Dans l’océan côtier, l’usage massif des fertilisants dans l’agriculture est la cause majeure de la diminution de l’oxygène. La quantité d’azote et de phosphate rejetée dans l’océan a augmenté de plus de 30 % en l’espace de 30 ans. En réponse à cette pollution, le phytoplancton prolifère. Lorsqu’elles meurent, ces algues sédimentent sur le fond où elles s’accumulent et sont dégradées par les bactéries. Pour ce faire, ces dernières utilisent énormément d’O2. Et appauvrissent donc l’eau de mer en oxygène.

En parallèle, sous le joug du réchauffement climatique, la température de l’eau augmente, accroissant le métabolisme des êtres qui y vivent. Cela implique qu’ils ont besoin de davantage d’oxygène pour survivre.

Si l’eau appauvrie en oxygène ne subit pas une ventilation verticale (c’est-à-dire un brassage qui conduit à une oxygénation de l’eau), sa teneur en O2 va chuter sous un seuil critique pour les êtres qui vivent sur le fond. On parle alors d’hypoxie des eaux. Or, « à certaines périodes de l’année, la zone côtière se caractérise par sa stratification. C’est-à-dire par un empilement de couches d’eau de densités différentes. Dans ces conditions, les couches du fond ne sont pas, ou faiblement, oxygénées. » Lorsque cette situation s’installe durant plus jours, voire plusieurs mois, les conséquences sont parfois fatales pour les organismes sédentaires. De quoi envisager des impacts en cascade dans les chaînes trophiques.

Vaste zone hypoxique estivale dans le golfe du Mexique © NOAA – Cliquer pour agrandir

Chaque été, une vaste zone hypoxique se forme dans le golfe du Mexique depuis l’embouchure du Mississippi. En 2017, elle a atteint la taille record de 22.000 km².

« Clairement, le nombre de sites hypoxiques côtiers a augmenté en réponse à l’eutrophisation mondiale. Pourtant, une quantification précise de la concentration en oxygène dans la zone côtière mondiale est encore débattue. En effet, la disponibilité des observations de taux en O2 dans les bases de données internationales ne permet pas une évaluation quantitative complète de la sévérité de l’hypoxie aux échelles saisonnières et interannuelles », déplore Marilaure Grégoire.

« Or, le suivi de la gravité et de l’évolution de l’hypoxie côtière nécessite l’accès à l’ensemble des données d’observation cohérentes sur l’O2 pour l’océan côtier mondial qui se prêtent à une analyse globale. »

Processus affectant l’oxygénation des océans © Marilaure Grégoire et al. – Cliquer pour agrandir

En haute mer, on suffoque aussi

Au large, d’autres processus sont incriminés pour expliquer la désoxygénation de l’océan. Suite au réchauffement des eaux de surface, l’oxygène gazeux de l’atmosphère se dissout moins bien dans l’océan. De facto, celui-ci va être moins riche en O2.

Un deuxième facteur est lié à la circulation des courants marins et à la stratification de l’océan. Avec le changement climatique, les eaux de surface sont plus chaudes, donc moins denses. Cela entraîne davantage de stratification des masses d’eau. Et donc moins de mélange entre les eaux de surface plus riches en O2 (car en contact avec l’atmosphère), et les eaux de profondeurs, très pauvres en O2.

« En haute mer, le stock d’O2 a diminué de quelques pourcents (c’est-à-dire de 0,5 à 3 %) et les zones à minimum d’oxygène s’étendent. Bien que les observations et les simulations documentent un déclin net du stock global d’O2 dans l’océan , il existe un désaccord entre les analyses entraînant des estimations régionales incohérentes du taux de désoxygénation », poursuit Marilaure Grégoire.

« Les incertitudes et les différences entre les estimations pourraient être attribuables à la rareté des données accessibles, à l’utilisation de différents ensembles de données (par exemple, le volume et la qualité des données) et à l’emploi de différentes techniques et modèles de cartographie. »

Des données en masse

Durant la dernière décennie, le nombre de données relatives à la désoxygénation des océans a quadruplé. Et ce, en raison de l’utilisation de capteurs électrochimiques et optiques mesurant en continu le niveau d’oxygène depuis les plates-formes autonomes comme les drones sous-marins et les flotteurs Argos.

« Cependant, la qualité des données issues de ces capteurs est encore fortement hétérogène et diffère suivant le protocole de calibration. Pour cette raison, ces données ne sont pas encore intégrées dans l’estimation du niveau de désoxygénation alors qu’elles représentent une manne d’information considérable », poursuit la directrice de recherche FNRS.

«  La qualité et la disponibilité des données d’oxygène dans les bases de données internationales ne permettent pas d’estimer avec précision les baisses d’oxygène à long terme. Face à ce constat, il est nécessaire de mener un effort international coordonné en vue de créer une base de données, ouverte à tous et utilisée selon un protocole commun et un contrôle qualité, ainsi qu’un atlas mondial de l’oxygène océanique. »

Baptisée GO2DAT (pour Global Ocean Oxygen Data base and ATlas), cette base de données en libre accès combinera des données provenant des zones côtières et de la haute mer. « Son développement est prévu dans le cadre de notre programme GOOD (Global Ocean Oxygen Decade) récemment soutenu par l’UNESCO dans le cadre de la décennie des océans».

Haut depage