Des prévisions météo aux bulletins de la qualité de l’air, l’apport essentiel des satellites

8 septembre 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 7 min

Depuis toujours, l’être humain a cherché à prédire la météo qu’il fera demain. Et pour cause, elle exerce une grande influence sur notre quotidien, que ce soit sur nos déplacements, nos loisirs, ou la qualité de l’air que nous respirons. Les événements météorologiques extrêmes et les catastrophes associées peuvent, par ailleurs, impacter la sécurité des biens et des personnes. Aujourd’hui, les scientifiques disposent d’un large panel de technologies pour anticiper le comportement de l’atmosphère avec, en fer de lance, les satellites d’EUMETSAT, l’organisation européenne chargée de l’exploitation des satellites météorologiques.

La Terre, observée sous toutes ses coutures

A l’Institut Royal Météorologique (IRM), cela fait 50 ans qu’on exploite ces satellites. « Leur arrivée a vraiment révolutionné le domaine », assure Nicolas Clerbaux du service de télédétection à partir de l’espace de l’IRM. « Sans eux, les prévisions seraient nettement moins fiables et comporteraient beaucoup plus d’erreurs. »

Les prévisionnistes s’appuient particulièrement sur les données des satellites Météosat 10 et 11 de seconde génération d’EUMETSAT et de l’Agence spatiale européenne (ESA). Le principal instrument embarqué à bord est le radiomètre SEVIRI. « Il est capable d’observer la Terre dans 12 bandes spectrales différentes, du visible à l’infrarouge thermique, à une résolution spatiale allant de un à trois kilomètres. »

Certains canaux permettent ainsi de détecter et de suivre des masses nuageuses ainsi que d’étudier les terres émergées. D’autres servent à repérer, entre autres, des nuages bas et les brouillards nocturnes.

Capteur SEVIRI © EUMETSAT

 

Image de METEOSAT-8 de la situation thermique en Europe le 15 juillet 2022 à 12h15 © Camille Stassart

Une interprétation humaine qui reste nécessaire

Concernant les prévisions à quelques heures, ces données d’observations satellitaires sont extrapolées par les scientifiques. Dans le domaine, on parle de prévisions immédiates (« nowcasting », en anglais). « Pour ce type de prévisions, l’extrapolation donne généralement de meilleurs résultats que les modèles numériques de prévision du temps », note le Dr Clerbaux.

Ceux-ci serviront surtout à anticiper le temps sur plusieurs jours, en simulant l’évolution de l’atmosphère sur base des données fournies par les satellites. Pour les prévisions de 2 à 4 jours, ce sont les modèles atmosphériques régionaux qui entrent en jeu, comme le modèle ALARO. Pour les tendances à 14 jours, l’IRM exploite des modèles globaux.

« Tous ces modèles fournissent des informations brutes qui, idéalement, devraient être interprétées et, parfois, corrigées. En effet, les modèles peuvent présenter des biais systématiques, comme la température dans certaines villes. Il est donc important de faire une correction avant de diffuser la prévision. L’interprétation humaine est également importante pour informer correctement sur des phénomènes dangereux, comme les orages. »

Des données satellitaires couplées à des mesures in situ

Aussi importante que soit la contribution des satellites, la prévision du temps repose sur d’autres dispositifs d’observation. L’IRM possède ainsi son propre système de détection de la foudre : le système BELLS (Belgian Lightning Location System).

Le capteur de Koksijde du système BELLS © IRM

 

En bleu, l’emplacement des capteurs de foudre de l’IRM © IRM

« On dispose aussi d’une quinzaine de stations météo qui fournissent des données qui ne peuvent pas être mesurées par satellites, comme l’humidité relative, la température à 2 mètres du sol, le vent à 10 et 30 mètres d’altitude, les températures sous terre, et la pression atmosphérique », énumère Nicolas Clerbaux. « En parallèle, les ballons-sondes analysent, trois fois par semaine, la température, l’humidité et la direction du vent jusqu’à une altitude de 35 kilomètres. »
Les radars météorologiques, de leur côté, permettent d’anticiper les précipitations à très court terme.

Abris météorologiques sur le site de l’IRM à Uccle © Camille Stassart
Le radar de Wideumont © IRM

Image du nouveau radar de Wideumont en mai 2022 :

Une 3e génération de satellites parée au lancement

Avec les satellites Météosat de 3e génération, dont le premier devrait être mis en orbite à la fin du mois de novembre, la résolution spatiale des images sera améliorée et atteindra 500 mètres, 1 km, ou 2 km selon les bandes. « Cela permettra de mieux surveiller la formation du brouillard dans la vallée de la Meuse, par exemple », fait savoir le Dr Clerbaux.

Ces nouveaux satellites aideront aussi les prévisionnistes à mieux évaluer l’intensité des orages et à anticiper les orages violents. De plus, « l’imageur de détection des éclairs fournira une observation continue et inédite depuis l’espace de l’activité électrique totale, au-dessus de l’Europe et de l’Afrique », précise EUMETSAT. Le service météo en charge de la navigation aérienne pourra donc émettre ou lever des alertes dans les meilleurs délais, et ainsi réduire les pertes financières pour les compagnies aériennes et les aéroports.

Des modèles dédiés à la prévision des pics de pollutions

Au cours des années 1970, la Belgique s’intéresse à la prévision d’un autre phénomène, directement influencé par les conditions météorologiques, de plus en plus préoccupant : la pollution de l’air.

Comme pour la météo, les prévisions de la qualité de l’air se basent sur des modèles mathématiques. « L’objectif général est de produire des cartes de concentrations des polluants pour la journée en cours et les jours à venir », rappelle la Cellule Interrégionale de l’Environnement (CELINE), chargée d’étudier la qualité de l’air en Belgique.

Prévision du 5 août 2022 pour les concentrations de PM 2.5 au 7 août 2022 © IRCELINE

Parmi les modèles exploités, on trouve le modèle CHIMERE, qui va simuler les processus physico-chimiques au sein de l’atmosphère. « Il se base pour cela sur les prévisions météorologiques, les émissions de polluants dans l’air ambiant, ainsi que sur l’occupation de la surface. »

CHIMERE est, entre autres, capable de prédire les concentrations en particules fines (Particulate Matter, en anglais). Les PM 2.5 – dont le diamètre est inférieur à 2.5 micromètres – sont particulièrement suivies, car très dangereuses pour la santé. Du fait de leur petite taille, elles pénètrent profondément dans l’appareil respiratoire et sont suspectées d’être une cause de problèmes cardio-vasculaires et de cancers.

Une part importante des PM 2.5 provient des rejets d’ammoniac (NH3) dans l’atmosphère, eux-mêmes causés par l’utilisation de fertilisants dans l’agriculture. Or, d’après une récente étude dirigée par Martin Van Damme, chercheur à l’ULB et à l’Institut royal d’Aéronomie spatiale, la teneur atmosphérique en NH3 a augmenté de 21 % en Europe entre 2008 et 2018.

 

Instrument IASI ©
EUMETSAT

Des concentrations de PM 2.5 mieux anticipées grâce aux satellites

Depuis plusieurs années, le scientifique suit à la trace ce polluant à l’aide de l’instrument IASI installé sur les satellites MetOp d’EUMETSAT.

« C’est en 2008, soit deux ans après le lancement du premier satellite de la série, qu’on a découvert qu’il était capable de mesurer le NH3 dégagé lors des feux de forêts. Grâce aux mesures IASI, la première distribution globale de ce composé a été obtenue. On ne s’y attendait pas du tout, car la signature spectrale de l’ammoniac est très faible dans l’infrarouge ! », déclare le Dr Van Damme.

À la suite de cette découverte, lui et ses collègues de l’ULB ont implémenté des algorithmes afin que l’instrument puisse restituer les concentrations de NH3 en temps quasi-réel. « Cela a vraiment conduit à l’ouverture d’un nouveau champ de recherche. »

Aussi, une publication à laquelle il a récemment participé indique que les données recueillies par IASI pourraient améliorer la manière dont les émissions de NH3 sont représentées dans le modèle CHIMERE, et donc perfectionner les prévisions de concentrations en PM 2.5.

La dernière étude du Dr Van Damme, montre, par ailleurs, qu’il existe un effet «week-end» sur le NH3 total mesuré par IASI au-dessus des principales régions sources en Europe (dont le nord de la Belgique). « A partir du samedi, on constate une diminution de 15 % par rapport à la moyenne hebdomadaire. En prenant en compte ce type de fluctuations dans des modèles comme CHIMERE, on pourra à l’avenir mieux prédire les épisodes de pollutions aux particules fines », conclut le chercheur.

 

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