La protection sociale à l’épreuve de la mobilité internationale

9 janvier 2023
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

La question de l’accès des travailleurs européens et extra-européens à la protection sociale est un sujet sensible encore peu étudié par les scientifiques. Dans le cadre du projet MiTSoPro (Migration et protection sociale transnationale dans l’Europe de l’après-crise), soutenu par le Conseil Européen de la Recherche (ERC Starting Grant), des chercheurs du Centre d’études ethniques et migratoires (CEDEM) de l’ULiège ont dressé le tout premier bilan sur les droits sociaux accordés aux migrants en situation de mobilité internationale dans 40 pays. En parallèle, l’équipe s’est intéressée aux difficultés rencontrées pour accéder à ces droits.

Des régimes de protection sociale en mutation

Le projet part du constat que les systèmes de protection sociale se sont « trans-nationalisés » au cours des dernières décennies. « Historiquement développés pour répondre aux besoins des personnes qui vivent et travaillent dans un territoire donné, ils se sont transformés en raison de la dynamique de globalisation, tant dans la circulation des personnes que des capitaux », explique le coordinateur du projet, Jean-Michel Lafleur, Maître de recherches FNRS et directeur adjoint du CEDEM. « Aussi, les régimes de protection sociale prennent aujourd’hui en compte la mobilité internationale de la population. »

Il existe, en soit, deux mécanismes : l’octroi de droits sociaux aux nouvelles personnes qui arrivent dans le pays, et le maintien des droits à celles qui partent. Le cas typique européen serait une Italienne qui vient travailler en Belgique. A la retraite, elle bénéficiera d’une pension belge, mais aussi italienne, ayant contribué pendant plusieurs années à sa pension en Italie avant de venir en Belgique. Autre exemple : un père de famille qui s’installe en Espagne, mais dont les enfants vivent en Belgique, continuera à bénéficier d’allocations familiales belges, si celles-ci sont plus élevées que celles versées par l’état espagnol.

« L’UE dispose d’un cadre législatif fort en la matière », fait savoir le Pr Lafleur. « A l’international, la législation reste néanmoins plus floue. Généralement, la trans-nationalisation des droits sociaux dépend de la volonté des états à signer entre eux des accords », indique le sociologue. Examiner et comparer les politiques publiques sur le sujet des 27 états membres et de 13 pays hors UE (Grande-Bretagne, Sénégal, Tunisie, Turquie, Chine, Equateur, Argentine, Inde, Liban, Maroc, Russie, Serbie et Suisse) était l’objectif du projet MiTSoPro.

La Belgique parmi les bons élèves

Via une enquête, l’équipe du Pr Lafleur – réunissant 6 politologues, sociologues et anthropologues, accompagnés d’une centaine d’experts internationaux – a identifié les droits sociaux accordés aux migrants entrants et sortants (hors demandeurs d’asile) de ces 40 pays. « Globalement, notre analyse montre que l’UE est incontestablement une zone très avancée en termes de collaboration entre états sur les questions de protection sociale. »

Concernant les mécanismes mis en place pour protéger leur propre citoyen, certains pays de l’UE sont plus avancés que d’autres, du fait de leur histoire migratoire, plus ancienne ou plus importante. « C’est le cas de la Roumanie ou de la Pologne, qui ont connu une grande diaspora ces dernières années. Les pays scandinaves, inversement, ont peu d’accord avec d’autres pays vis-à-vis de leurs ressortissants. »

La Belgique, de son côté, présente de nombreuses politiques de protections sociales destinées à ses citoyens installés l’étranger et aux étrangers vivant sur son territoire. Ce qui est aussi le cas de la France, de l’Italie et de l’Espagne.

L’existence de droits ne suffit pas

A la question de savoir s’il existait des disparités entre les aides annoncées par les pays, et celles véritablement obtenues par la population, l’équipe du projet a réalisé des entretiens avec des migrants sénégalais, tunisiens, roumain et français, leur famille dans le pays d’origine, et les acteurs privés et publics de la protection sociale.

Résultat ? « L’existence de droits ne suffit pas à garantir leur accès », constate Jean-Michel Lafleur. « Il est souvent très compliqué pour les migrants de savoir à quelles aides ils ont droit, et comment y avoir accès. Il y a les barrières linguistiques et éducationnelles, les procédures étant parfois complexes. Mais aussi légales (certaines prestations sociales ne sont octroyées qu’après avoir résidé plusieurs années sur le territoire), et administratives (nécessité de produire les bons documents au bon moment pour accéder au droit). Notre étude montre que les migrants ont un réel besoin de soutien dans leurs démarches.»

Déterminer les actions à mettre en œuvre pour soutenir l’accès effectif à ces droits sociaux sera l’objectif du nouveau projet du Pr Lafleur, réunissant l’ULiège, l’Université de Marbourg (Allemagne), l’Université autonome de Madrid (Espagne) et l’Université d’Oxford (Grande-Bretagne), ainsi que quatre ONG travaillant sur la problématique migratoire.

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