L’immédiateté sera au menu des prévisions météo du futur

9 septembre 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 8 min

Pour ses prévisions météo, l’IRM disposera dans les prochaines années de données issues d’une nouvelle génération de satellites dénommés MTG. Les instruments inédits embarqués sur certains d’entre eux permettront de suivre localement le développement des orages, de photographier en temps réel les éclairs. De quoi améliorer le service d’alerte à la population en cas d’événements climatiques extrêmes.

Le grand remplacement

Entre 2002 et 2015, 4 satellites de la famille Météosat de deuxième génération (MSG) ont été mis en orbite. Développés sous la responsabilité de l’agence spatiale européenne ESA pour le compte de l’organisation météorologique européenne EUMETSAT, ils arrivent en fin de vie.

A partir de cette année, ils seront progressivement remplacés par deux trios de satellites MTG (Météosat de troisième génération) installés en orbite géostationnaire. Soit à 36.000 km de la surface de la Terre, et tournant à la même vitesse que celle-ci, permettant aux satellites d’observer constamment le même point. Ici, en l’occurrence, l’Europe.

Chaque trio comprendra un satellite MTG-S, lequel embarquera notamment l’instrument IRS, un sondeur infrarouge , et sera lancé en 2023. Et deux satellites portant des imageurs (MTG-I), l’un lancé fin 2022 et l’autre en 2024. La durée de vie de chaque satellite étant de 7 ans, le lancement du second sondeur et des deux autres imageurs est prévu après 2030.

Davantage de bandes spectrales

Le premier imageur de chaque trio de satellites, MTG-I1, sera dédié à l’imagerie multispectrale. Pour ce faire, il embarquera l’instrument FCI (Advanced Flexible Combined Imager), un radiomètre imageur à seize canaux. « C’est-à-dire qu’il verra en 16 « couleurs » : dans le visible (bleu, jaune, vert, etc.), mais aussi dans l’infrarouge, ce qui lui permettra d’observer la Terre durant la nuit », explique Dr Nicolas Clerbaux, spécialiste des données météorologiques satellitaires à l’IRM. FCI prendra des images toutes les 10 minutes.

« Cette dernière version du radiomètre est une évolution d’un instrument que nous utilisons depuis environ 50 ans. Ses bandes spectrales sont bien plus nombreuses et bien plus fines que ses prédécesseurs. »

Un chasseur d’éclairs

MTG-I1, un gros cube de quatre tonnes doté de panneaux solaires pour son alimentation, sera également équipé d’un radiomètre imageur (LI) (Lightning Imager) destiné à la détection du rayonnement optique émis par les éclairs. Cet instrument inédit sera capable d’observer les éclairs entre les nuages ainsi que ceux qui vont toucher le sol.

« C’est la première fois qu’EUMETSAT lance ce genre d’instrument optique. Au même moment, celui-ci sera capable de voir les éclairs émis en Europe, en Méditerranée, sur toute l’Afrique, dans une grande partie de l’océan Atlantique, et dans une partie du Brésil. Cela permettra de suivre l’activité électrique et l’activité convective (parfois, les éclairs se développent avant les orages, NDLR) », poursuit Dr Clerbaux.

En effet, toutes les 2 millisecondes, LI prendra une image de la Terre. Les pixels illuminés seront identifiés et expertisés en temps réel, à la fois depuis le satellite et dans des centres d’expertise au sol. Et ce, pour être mis à disposition des utilisateurs en moins de … 30 secondes ! De quoi ouvrir une nouvelle ère de l’observation des orages depuis l’espace, laquelle ne manquera pas d’avoir des répercussions dans le domaine des transports aériens et maritimes.

Prévisions versus réalité

« Ces deux instruments, FCI et LI, vont servir au « now-casting » (que l’on traduit par « prévisions immédiates », NDLR). D’une part, ils permettront la réalisation de prévisions à très courtes échéances : dans l’heure ou les deux heures à venir. D’autre part, comme les modèles météorologiques ne correspondent pas tout à fait à la réalité, ces deux instruments permettront de vérifier ce qui se passe réellement en pratique : l’orage prédit a-t-il vraiment lieu ? », précise Dr Nicolas Clerbaux.

« Cela permettra de mettre en exergue des événements non prédits par les modèles. En effet, ceux-ci ne sont pas capables actuellement de préciser le moment et le lieu exacts où un orage va se développer, mais restent assez flous : « dans cette région assez étendue, il y a des risques orageux importants cet après-midi ». »

« En donnant des informations beaucoup plus localisées, et sur ce qui se passe réellement, le « now-casting » est donc complémentaire aux modèles. Et cela permet d’affiner les avertissements. »

Agir en connaissance de cause

Rappelez-vous, le 18 août 2011, le festival Pukkelpop (Hasselt) tournait au drame. Cinq personnes, âgées de 15 à 59 ans, décédaient. Dix autres étaient dans un état grave, et 140 souffraient de blessures plus légères causées par des scènes et chapiteaux qui s’étaient effondrés et des matériaux divers qui s’étaient envolés. En cause, un orage extrêmement localisé, intense et rapide, doublé de vents très violents.

Avant cette funeste journée, l’IRM avait lancé un avertissement général « orange », signifiant la survenue d’orages pouvant « causer de graves dommages aux bâtiments, provoquer le déracinement d’arbres, des décharges électriques liées à la foudre et localement des dégâts provoqués par l’eau ». Mais, à l’époque, il était impossible aux prévisionnistes d’être plus précis quant à la localisation exacte où les orages allaient frapper. A l’avenir, grâce aux nouveaux imageurs géostationnaires et au « now-casting », cela sera possible.

« Avec ces instruments, les prévisionnistes pourront confirmer l’importance d’une instabilité atmosphérique. Ils devraient pouvoir prédire la survenue prochaine d’un orage ou d’une tornade, par exemple une demi-heure à l’avance, et suivre leur développement. De quoi permettre d’évacuer un site au besoin. Mais aussi, de pouvoir précisément déterminer quand arrêter le fonctionnement d’un aéroport en raison de conditions météorologiques trop délétères », poursuit Dr Clerbaux.

Balayage rapide

L’imageur FCI, embarqué sur MTG-I1 en 2022, rafraîchira les images toutes les 10 minutes. A titre de comparaison, ce délai était de 30 minutes avec la première génération des satellites Météosat, et de 15 minutes avec la deuxième génération. De surcroît, l’imageur qui sera à bord de MTG-I2 (le deuxième imageur du premier trio), lancé en 2024, fera du « rapid-scan », c’est-à-dire qu’il prendra des images toutes les 2 minutes et 30 secondes !

« MTG-I2 sera identiquement le même satellite que MTG-I1, et sauvegardera les données. De plus, si MTG-I1 réalisera le balayage du cercle entier Météosat, depuis le pôle Sud jusqu’au pôle Nord tout en étant centré sur l’Europe ; l’imageur de MTG-I2 se concentrera sur une fenêtre plus basse en latitude, comprenant l’Europe au sens large, le proche Atlantique inclus. Soit une surface quatre fois plus petite que celle observée par MTG-I1. De quoi avoir des images avec une fréquence 4 fois plus élevée. » Et donc d’espérer des prévisions météo locales dotées d’une grande précision.

CubeSats et Radio-occultation

En parallèle de ces satellites mastodontes placés en orbite géostationnaire, d’autres, bien plus petits, occupent l’orbite basse, soit jusqu’à 2000 km d’altitude. Créés et lancés par des entreprises privées, ils sont dédiés à la radio-occultation et donnent de précieuses informations de température et d’humidité atmosphériques. La société pionnière dans ce domaine s’appelle Spire.

Elle a disposé en orbite basse une constellation d’une centaine de CubeSats, petits satellites standardisés en forme de cube de 10 cm de côté, équipés d’un récepteur à ondes GPS, un instrument très simple et peu coûteux.

« Les satellites GPS américains, européens (Galileo) ou chinois (Beidu) chinois émettent constamment diverses ondes de positionnement. Ces signaux peuvent être captés par un CubeSat muni d’un récepteur se trouvant de l’autre côté de la Terre », explique Dr Clerbaux. « Comme le chemin entre l’émetteur et le récepteur est tangent à la sphère terrestre, les signaux se propagent dans cette petite couche d’atmosphère tangentielle. C’est ce que regarde un CubeSat dédié à la radio-occultation. Il réalise un sondage atmosphérique le long de la tangente entre émetteur et récepteur afin d’en tirer des profils de température et d’humidité. » Deux données cruciales (avec le vent) à injecter dans les modèles pour prédire la météo.

Des données privées complémentaires

EUMETSAT a passé contrat avec Spire pour disposer de données précises et les distribuer à ses pays partenaires. Pourquoi agir de la sorte alors que des satellites géostationnaires européens très performants vont être mis en orbite ? « Car la multiplication de ces petits satellites permet d’avoir énormément de mesures. 100 CubeSats réalisent 100 sondages atmosphériques pendant que le satellite géostationnaire n’en fait qu’un seul. Cela équivaut à avoir 100 fois plus de stations d’observation pour à peine 100 kilos lancés et mis en orbite … (contre 4000 kilos par satellite MTG, NDLR) », poursuit Dr Clerbaux.

Actuellement, Spire collecte environ 10.000 mesures de radio-occultation par jour dans le monde. Son objectif est d’en collecter 100.000.

A noter encore que des CubeSats particuliers pourraient prochainement être lancés afin de suivre les feux de forêt. Placés plus bas en altitude que le futur instrument géostationnaire FCI, ils fourniraient des informations complémentaires, bien utiles pour combattre les incendies. Lesquels devraient devenir de plus en plus fréquents avec les changements climatiques.

 

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