Fossile de hyène des cavernes juvénile provenant de la Caverne Marie-Jeanne (Dinant) © Thierry Hubin / IRSNB

Fratricides chez la hyène des cavernes

10 février 2022
par Daily Science
Durée de lecture : 5 min

En réexaminant une collection paléontologique issue de fouilles datant de 1943, des chercheurs de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) ont découvert la présence exceptionnelle de 323 fossiles de hyènes juvéniles âgées pour la plupart de quelques semaines. Il y a 43.000 à 47.000 ans, en pleine période glaciaire, la Caverne Marie-Jeanne (Dinant) aurait été utilisée comme repaire par les hyènes pour y mettre bas. Le taux de mortalité exceptionnel de ces hyénons révèle que les frères et sœurs s’entretuaient pour survivre en cette période de pénurie alimentaire.

Pour Elodie-Laure Jimenez, archéologue à l’IRSNB et à l’université d’Aberdeen (Angleterre), ces fossiles constituent une découverte importante. « Si des restes fossilisés de hyène des cavernes sont fréquemment retrouvés en Europe, c’est en revanche la première fois que nous retrouvons une telle concentration de nouveau-nés de cette espèce. C’est un phénomène qui n’a jamais été identifié, ni chez les espèces fossilisées ni chez la hyène moderne. C’est vraiment très intrigant. »

Entrée de la Caverne Marie-Jeanne lors des fouilles en 1943 © IRSNB

Comportements à travers le temps

La hyène des cavernes est une sous-espèce disparue de Crocuta crocuta, la hyène tachetée actuelle vivant en Afrique subsaharienne. Les femelles hyènes s’isolent de leur clan pour mettre bas, afin de se placer à l’abri de leurs congénères qui pourraient porter préjudice à la vie des jeunes. Une fois que les hyénons deviennent un peu plus forts, vers 4-8 semaines, les mères reviennent alors au sein du clan avec leur portée, souvent composée de deux ou trois petits.

« Le fait qu’il n’y ait que très peu d’individus adultes trouvés dans la Caverne Marie-Jeanne et que la plupart des hyènes fossilisées ne soient âgées que de quelques semaines indique que ce site n’était pas le lieu de vie du clan. En revanche, la grotte a régulièrement été utilisée comme tanière natale par les hyènes des cavernes. Et ce, durant de nombreuses générations », précise la scientifique. « Cette découverte est exceptionnelle, car nous ne connaissions que très peu des comportements sociaux et reproducteurs de cette espèce clé des écosystèmes paléolithiques. »

Localisation de la Caverne Marie-Jeanne (Dinant) © IRSNB

Petits meurtres en famille

Au vu du nombre de hyénons, et surtout de l’homogénéité de leur âge de mort, la question de la cause de cette mortalité se pose.

Les chercheurs suggèrent qu’il serait le fruit d’un phénomène fréquemment rencontré dans la nature : le caïnisme (ou fratricide), qui qualifie le comportement agressif des nouveau-nés dominants d’une portée envers leurs frères et sœurs afin de s’approprier les ressources maternelles. Ce harcèlement physique conduit souvent à la mort de l’individu le plus faible.

« Ils ont probablement fait cela durant des périodes de pénurie de ressources alimentaires », avance Dre Elodie-Laure Jimenez. « Dans un contexte de pressions écologiques importantes, la mère devait voyager de longues distances pour trouver des proies et laissait alors ses petits seuls dans la tanière pendant de longues heures, voire jours. C’est typiquement dans ce genre de contexte que le caïnisme se manifeste le plus. »

Fossile de hyène des cavernes juvénile © Thierry Hubin / IRSNB

Concurrence avec Néandertal

Durant cette période du dernier Âge de Glace, entre 43.000 et 47.000 ans, des conditions climatiques subarctiques ont frappé l’Europe du Nord et de nombreuses espèces ont dû adapter leur comportement pour survivre.

Dans les latitudes septentrionales (Belgique, sud de l’Angleterre et « Doggerland », les vastes plaines aujourd’hui immergées dans la Manche), les Néandertaliens dépendaient largement des méga-herbivores tels que le bison, le rhinocéros ou le mammouth pour obtenir suffisamment de graisse, de protéines et de matériaux pour se vêtir.

Ils étaient donc parfois en forte concurrence avec d’autres grands prédateurs comme les hyènes des cavernes et devaient adapter leurs stratégies en migrant sur de longues distances ou en chassant différentes espèces.

L’équipe de fouilles qui découvrit les fossiles dans la Caverne Marie-Jeanne en 1943 © M. Glibert / IRSNB

Moqueur mais essentiel

Décrite pour la première fois en 1823 par le naturaliste allemand G.A. Goldfuss, la hyène des cavernes a peuplé l’ensemble de l’Eurasie jusqu’à sa disparition en Sibérie, il y a environ 14.000 ans.

« Due à sa mauvaise réputation d’animal moqueur à l’allure ingrate, la hyène est peu représentée et peu présente dans l’imaginaire collectif. Elle était pourtant un grand carnivore essentiel des écosystèmes préhistoriques eurasiatiques dans lesquels elle jouait un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre, au même titre que son principal compétiteur, l’Homme de Néandertal. »

« Les nouvelles connaissances générées par cette découverte unique et les analyses en cours nous permettront de mieux comprendre la dynamique entre les humains préhistoriques et les grands carnivores en Europe du Nord, ainsi que la manière dont ils se sont adaptés aux variations climatiques de la période glaciaire », conclut la paléontologue.

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