Après les attentats de Bruxelles, les phages sont venus à la rescousse

11 février 2022
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Après quasi 700 jours de traitement par antibiotiques pour tenter d’éliminer une infection à bactéries multirésistantes chez une jeune femme de 30 ans, le recours à des phages, pendant à peine une semaine, a finalement permis de vaincre l’infection. Cette guérison ne relève pas d’un film de science-fiction. Elle est intervenue en Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles, où la patiente était en traitement après avoir été victime de blessures avec fractures subies lors des attentats commis à l’aéroport de Zaventem en 2016.

Accablée par une bactérie multirésistante

À son arrivée à l’hôpital, elle souffrait de blessures multiples. Après un épisode de réanimation, elle a subi une amputation partielle de l’os iliaque et une fixation externe d’un fémur cassé. Bien qu’elle ait reçu des antibiotiques dès son admission à l’hôpital Erasme, ses plaies se sont infectées, empêchant leur guérison. Pendant de long mois, les médecins ont tenté d’éradiquer la bactérie mutirésistante Klebsiella pneumoniae qui l’accablait. Sans succès.

C’est alors qu’une des médecins de l’équipe, la Dre Anaïs Eskenazi, aujourd’hui attachée au centre hospitalier de Cayenne (Guyane française), a eu l’idée de tenter un traitement par phagothérapie. Une technique qui n’est pas très répandue en Europe occidentale, mais qui, en Belgique, est plus aisée à mettre en place depuis des changements législatifs intervenus ces dernières années. En quelques semaines, l’état de la patiente s’est amélioré. Son fémur cassé a finalement commencé à guérir. Et, aujourd’hui, elle marche à nouveau.

Collaboration avec l’Hôpital Militaire et l’Institut Eliava, à Tbilissi

Cette guérison a été rendue possible grâce à la collaboration du spécialiste des phages Jean-Paul Pirnay, à l’hôpital militaire Reine Astrid, de Neder-over-Heembeek. « Les phages sont les parasites naturels des bactéries. Ils peuvent aider à lutter contre des bactéries désormais résistantes aux antibiotiques. »

Le principal obstacle à l’introduction de la phagothérapie dans la médecine occidentale réside dans  l’absence d’un cadre juridique et réglementaire approprié. La Belgique a mis un tel cadre en place, sur base de préparations magistrales, de la mise au point de médicaments composés de phages.

S’ils sont mis au contact des bactéries ciblées, les bons phages peuvent les tuer. Une sélection très précise s’impose donc. De même que la possibilité de pouvoir produire les phages d’intérêt.

Grâce au spécialiste de la phagothérapie de l’Hôpital Militaire, des contacts fructueux ont pu être noués avec l’Institut Eliava, de Tbilissi, en Géorgie, grand centre d’expertise en matière de phages depuis 1920.

Un échantillon de la bactérie multirésistante qui accablait depuis des mois la patiente bruxelloise y a été envoyé. Les Géorgiens ont identifié les phages susceptibles de la contrer et en ont fournis aux médecins belges. La patiente a été traitée avec ces échantillons, tout en continuant un traitement antibiotique. Quelques semaines plus tard, elle était débarrassée de Klebsiella pneumoniae.

Une start-up pionnière

Comment un phage agit-il? « Il se compose d’une tête, qui renferme son ADN, d’une queue et d’un système de crochets qui lui permet de s’arrimer à une bactérie », explique Jean-Paul Pirmay. « Le phage s’accroche à la bactérie et lui injecte alors son propre ADN tout en la forçant à le reproduire. La multiplication de cet ADN fait finalement éclater la bactérie sous l’effet de la pression, relâchant autant de nouveaux phages dans l’organisme. »

Si la Belgique est un des pays d’Europe occidentale les plus à la pointe dans l’utilisation de la phagothérapie (avec une centaine de traitements recensés), le problème à résoudre désormais porte sur la disponibilité de collections utiles de phages d’intérêt. Ainsi que sur leur production rapide et à la demande. Un domaine dans lequel se spécialise la start-up wallonne Vésale Bioscience.

Cette dernière a développé le service « Inteliphage », un phagogramme utilisant l’intelligence artificielle, qui permet d’obtenir un diagnostic ainsi qu’une thérapie personnalisée en trois heures. La société dispose également d’une bibliothèque de phages de plus d’une centaine de références. Sa technologie devrait être commercialisée dans le courant de l’année prochaine.

 

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