Les arboretums à la rescousse

11 juillet 2019
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Série (4/5) : « Auprès de mon arbre… »

L’épicéa va mal. Les scolytes ravageurs ne sont qu’un des multiples stress qui les accablent. Tant est que les spécialistes ne donnent pas cher de son avenir. Accablée par les multiples facettes du changement climatique, cette essence phare de notre industrie forestière pourrait disparaître de nos forêts. Face à cette prévision, des chercheurs de l’UCLouvain s’intéressent aux arboretums. Ils espèrent y trouver un remplaçant résineux à l’épicéa. De quoi rassurer l’industrie tout en diversifiant la forêt wallonne.

A la recherche du remplaçant idéal

Il ne fait aujourd’hui nul doute que l’épicéa est très sensible aux effets du changement climatique. Or l’essence est omniprésente en Wallonie. Elle représente près de 80% de l’ensemble de résineux au sud du pays, lesquels forment 43% de la forêt wallonne. Mais les choses sont en train de changer. La surface couverte par l’épicéa diminue drastiquement. Or la dynamique filière bois wallonne fonctionne majoritairement sur l’exploitation de cette essence. Il est urgent de lui trouver un substitut.

Sans compter que dans le contexte de changement climatique, une forêt saine est un puits de carbone. L’usage du bois comme matériau de construction permet en plus à cette séquestration de CO2 de durer dans le temps. Si cela ne va pas solutionner le problème du réchauffement, cela va au moins permettre de gagner du temps. Et si la solution venait de l’une des 204 espèces exotiques que les botanistes ont implantées dans les 27 arboretums belges au début du siècle dernier?

A Seraing, l’Arboretum de la Vecquée compte un hôte de marque, un séquoia géant venu de Californie. Mais ce n’est pas sur ce mastodonte que les chercheurs se sont concentrés. Sapin de Nordmann, Cyprès de Lawson et Thuya géant lui ont été préférés. C’est que, dans leur aire d’origine, ceux-ci présentent des caractéristiques intéressantes : ils sont résistants à la sécheresse et poussent rapidement tout en produisant du bois de qualité.

La dendrochronologie révèle l’adaptation des espèces exotiques à notre climat

Mais avant de les ériger en successeurs à l’épicéa, il faut d’abord tenter de s’assurer qu’ils tiendront le coup face aux bouleversements du climat à venir. Pour glaner quelques indices, des chercheurs explorent l’adaptation de ces 3 espèces exotiques à notre climat. A cette fin, ils remontent le temps vers le début du XXe siècle. C’est-à-dire au moment où ces essences ont été plantées.

Issus de 11 des 27 arboretums que compte la Belgique, tous centenaires ou presque, les résineux étudiés détiennent dans leur bois la mémoire de leur adaptation à notre climat. Pour en prendre connaissance, la dendrochronologie est une méthode de choix. Sans entrer dans les détails, il s’agit de prélever une fine carotte de bois sur les arbres vivants et d’en mesurer la largeur des cernes, c’est-à-dire la quantité de bois produite chaque année. Une méthode d’analyse d’inter-datation donne ensuite toutes sortes d’indices qui, mis en lien avec les données climatiques historiques, révèlent comment les arbres se sont comportés au fil du temps.

Carottage d'un Nordmann dans la forêt de Saint-Hubert © UCLouvain-ELIE
Carottage d’un Nordmann dans la forêt de Saint-Hubert © UCLouvain-ELIE

Au bout d’environ deux ans de recherche cumulés, où en est-on ? Pas moins de 251 arbres ont été carottés – 75 sapins de Nordmann, 99 cyprès de Lawson et 77 thuyas – et les multiples cernes de ces arbres centenaires ont été mesurés.

« On va désormais travailler sur les indices climatiques. Il s’agit de fouiller un peu plus dans le détail et de voir ce que l’on peut sortir comme info sur l’écologie de ces 3 espèces lorsqu’elles sont plantées en Belgique. Étant donné que depuis 25-30 ans, on est dans un contexte de changement climatique, il s’agit de voir si ces essences réagissent déjà. A partir de la croissance de chaque arbre, on étudie comment l’individu réagit à l’environnement d’une année à l’autre, en ping-pong », explique Caroline Vincke, professeure de sciences forestières  au sein du Earth and Life Institute (ELIE) de l’UCLouvain l’UCLouvain, avant de préciser davantage cette recherche, soutenue par l’accord-cadre de recherches et vulgarisation forestière:

 

 

En effet, si le premier objectif est de trouver des espèces qui permettraient de diversifier la forêt wallonne et de remplacer l’épicéa là où il disparaît ou est moribond, on pourrait aussi imaginer de les implanter en mélanges. «  Ces espèces n’auraient alors pas vocation d’être très productives mais présenteraient un intérêt de plus pour l’écosystème ou aideraient l’épicéa à mieux tenir le choc. Ce sont des hypothèses. » 

Pas dans un milieu strictement forestier

En arboretum, les arbres vivent dans un milieu relativement protégé. Ils sont à mille lieues des conditions environnementales qui règnent dans les forêts. Là, la vie s’y fait en grands massifs, parfois denses, et les interactions avec les autres arbres sont multiples, qu’elles soient de compétition ou de coopération. Partant de cela, « nous allons devoir être prudents dans la façon d’interpréter les données ».

Autre limitation : seuls les arbres qui ont survécu aux événements du dernier siècle sont passés au crible. « On ignore combien sont morts dans l’aventure. On ne sait pas non plus à quelle vitesse ils ont poussé en hauteur – on pourrait le faire, mais ça nécessiterait de les abattre, donc ne va pas le faire -. » Par ailleurs, ce projet n’a pas pour vocation d’étudier les propriétés mécaniques du matériau bois ou de confirmer sa performance en tant que bois de structure. « Il sera nécessaire d’avoir des études complémentaires si on veut des confirmations. » Et si l’on veut élire rapidement un remplaçant à l’épicéa.

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