Inauguration de la piste cyclable partiellement construite au départ de boues de dragage © projet VALSE

La construction à partir de boues polluées, une filière d’avenir

12 mai 2022
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Chaque année, une centaine de milliers de mètres cube de matières est extraite des cours d’eau wallons. Pour l’heure, seuls les sédiments non-pollués sont recyclés. Ce qui ne représente que 45% des matières draguées. Développer des filières de valorisation pour la matière contaminée était l’objectif du projet VALSE, soutenu par le programme Interreg France-Wallonie-Vlaanderen. Une étude qui a, notamment, abouti à la construction d’une piste cyclable à base de sédiments pollués. Le premier ouvrage du genre en Wallonie.

Volume des sédiments dragués des voies d’eau wallonnes entre 2001 et 2020 © SPW

Béton, ciment et butte paysagère à l’étude

Les reliefs peu marqués de notre territoire, couplés aux précipitations fréquentes, ont pour effet d’acheminer de grandes quantités de terre dans les fleuves, canaux et rivières. L’accumulation de ces dépôts entrave non seulement le passage des embarcations, mais augmente aussi le risque d’inondation. D’où l’intérêt des opérations de dragage.

« Une fois extraits, ces sédiments ont un statut légal de déchets. Ils sont classés en deux catégories : A (non ou très peu pollués) ou B (pollués), selon leurs teneurs en métaux et micro-polluants organiques », indique Laurence Haouche, Directrice des laboratoires d’analyse à l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP), et coordinatrice du projet VALSE (Validation de filières transfrontalières de valorisation de matières telles que les sédiments et terres excavées).

Si toutes les matières de la catégorie A sont réutilisées par la suite – notamment pour l’aménagement ou la réhabilitation de centres d’enfouissement technique, ou comme remblayage dans le cadre de travaux de réhabilitation de sites pollués –, les terres excavées et sédiments classés B sont majoritairement détruits.

Dans le cadre du projet VALSE, des partenaires belges et français ont étudié trois voies de valorisation potentielle : la production de béton, la production de ciment, et la réalisation de buttes paysagères.

Béton expérimental © Wallonie Infrastructures

Du fluor emprisonné dans le béton

La valorisation de sédiments contaminés (principalement en fluor) en béton s’est déroulée en plusieurs étapes. « Le Centre de recherche Terre et Pierre a préparé les sédiments afin de pouvoir les incorporer dans une formulation de béton. L’École des mines de Douai (France) et l’SSeP ont, ensuite, développé en laboratoire une formulation où une partie du sable a été remplacée par ce sédiment », explique la Dre Laurence Haouche.

Cette formulation a été testée à grande échelle sur le site de la direction des Recherches hydrauliques du SPW, à Chatelet (Hainaut), par la construction d’une piste cyclable pédagogique dédiée à la sécurité routière.

« Une partie de cette piste a été construite avec un béton sans sédiment, afin de pouvoir comparer les deux types de béton d’un point de vue mécanique et environnemental. Cela fait un an que la piste a été réalisée, et nous avons pu constater que la portion incluant des sédiments vieillit correctement. Nous ne voyons aucune différence avec la zone-témoin. Côté environnement, les analyses n’ont pas mis en évidence de rejets de fluor.»

Des rendements comparables au ciment classique

La filière de valorisation cimentaire n’a pas conduit à la réalisation d’ouvrage. Mais les résultats des tests menés en laboratoire par l’Institut flamand de recherche technologique (VITO) sont très encourageants : « Les rendements sont comparables, si pas meilleurs, au ciment classique, et un cimentier a déjà montré son intérêt pour notre procédé.»

La valorisation paysagère, de son côté, a été étudiée au travers d’une butte installée sur la commune de Farciennes (Hainaut). « Celle-ci a été aménagée par la commune et le centre Sedisol, spécialisé dans le traitement et le recyclage des produits de dragage, peu de temps avant le début du projet, et uniquement avec des sédiments A. L’ISSeP a réalisé un suivi écologique et écotoxique du site pendant plusieurs années, et nos résultats montrent que les sédiments ne semblent affecter ni la flore ni la faune », indique la Dre Haouche.

Butte paysagère © projet VALSE

À côté de ces réalisations de terrain, un outil numérique à destination des pouvoirs publics a été conçu afin de les aider à développer des filières de valorisation à l’échelle locale. Celui-ci permet de croiser les besoins d’une région donnée (la réalisation d’un mur anti-bruit aux abords d’une autoroute, par exemple), aux caractéristiques des gisements de sédiments de cette même région. Selon les chercheurs, les stocks de sédiments ne peuvent devenir une ressource de matériaux qu’à partir du moment où leur qualité et les besoins du territoire sont connus.

Un autre projet de recherche est d’ores et déjà sur le rail en Wallonie afin d’approfondir les possibilités offertes par la valorisation en béton des sédiments dragués dans nos cours d’eau.

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