Des pistes pour affronter de nouvelles pandémies

13 mai 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

 

"Covid et savoir officiel", par François-Xavier Heynen. Editions Academia. VP 14 euros, VN 0,99 euros
« Covid et savoir officiel », par François-Xavier Heynen. Editions Academia. VP 14 euros, VN 0,99 euros

Captivé par l’apparition de la pandémie et de ses questions sur le rôle des sciences dans la société, François-Xavier Heynen publie «Covid et savoir officiel» aux éditions Academia.

Le docteur en philosophie des sciences avait rêvé d’une agora mondiale qui construirait la réponse de l’humanité au virus envahisseur. Qu’est devenu cet espoir? «Rien, ou si peu», dit François-Xavier Heynen. «Nous avons eu droit à son opposé. Une société atomisée et confinée, vivant sous la crainte des chiffres de certains experts. Et des mesures des gouvernements souvent libérés de leur contrôle parlementaire.»

«Nous avons assisté à un déferlement d’avis en tout genre de scientifiques, d’intellectuels plus ou moins bien inspirés et de citoyens ordinaires. La presse traditionnelle a relayé les propos des premiers et les réseaux sociaux ont pris le tout. Sur les plateaux de télévision, dès février 2020, malgré l’ignorance générale, des discours ont été tenus par des spécialistes. Inévitablement, des expertises totalement contradictoires ont surgi. Elles ont généré une anxiété qui est venue s’ajouter à la peur de la maladie elle-même.»

Accepter le savoir officiel

L’animateur d’ateliers philosophiques examine comment les avis des scientifiques et les mesures des gouvernements construisent un savoir particulier qu’il qualifie de «savoir officiel». Il accepte la validité de cet alliage politico-scientifique «provisoire et imparfait». Dans le cadre limité de la pandémie.

«Ce savoir officiel est forgé pour garantir la continuité de l’État. Le gouvernement a pour ambition de transmettre à la population la solution la plus efficace possible. Et pour y parvenir, il se base notamment sur la science en vigueur.»

Des éléments ont été écartés. «Probablement de façon inconsciente par le discours scientifique dominant. Et ce, malheureusement, de façon répétée: la mort a été désacralisée, la vie a été réduite à des statistiques…»

Le faux est produit plus vite que le vrai

Plutôt que d’affirmer que les opposants à la science officielle sont des ignorants ou des antisociaux, François-Xavier Heynen propose un système explicatif qui s’ancre dans la dimension traumatique de la pandémie.

Lors de ses communications, le gouvernement représente l’État… «Mais pas l’État à lui seul. De la même façon, les experts n’incarnent pas leur discipline de façon définitive, puisque le doute est constitutif de la science. La communication de crise peut donc être perçue comme un carcan par ceux et celles qui veulent exprimer leurs désaccords, politiques ou conceptuels, et qui se retrouvent face à une machine qui ne leur laisse pas cette liberté. Ce qui, dans un régime démocratique, pose question.»

Pour le titulaire d’un master en communication, les risques liés à une réaction délétère vis-à-vis du savoir officiel imposent une gestion adaptée du «bimédia»: la presse traditionnelle et les médias sociaux. Si l’on veut générer un «élan transformateur» qui permet de se projeter en dehors de soi-même et d’adhérer à un nouveau savoir.

«Dans les réseaux sociaux, l’absence de régulateur va permettre le développement de propos invraisemblables. Le faux étant produit plus vite que le vrai, il circule aussi plus vite, telle la rumeur face à la vérité. De plus, les algorithmes contraignent les utilisateurs à se retrouver peu à peu au milieu d’une bulle dans laquelle tout le monde pense de la même façon. Les complotistes peuvent ainsi proliférer. Cette situation est devenue si problématique que certains réseaux ont installé des systèmes de censure. Ce qui a, bien entendu, renforcé l’idée qu’un complot régulait la liberté de penser et de communiquer.»

Fabriquer un récit démocratique unificateur

Selon François-Xavier Heynen, fabriquer en commun un «récit covid» sur base d’un traumatisme partagé permettrait une meilleure transmission du savoir officiel. Une adhésion plus efficace de la population à l’imposition de mesures changeant son comportement.

«En ancrant dans notre mémoire collective les sacrifices des malades, des morts et de leurs familles. Mais aussi des soignants et de tous ceux qui ont subi cette crise comme un traumatisme. Ce souvenir devrait s’inscrire dans les futurs manuels scolaires, lors de journées commémoratives… L’État pourrait également promouvoir des films qui mettraient en évidence ceux qui ont œuvré pour le bien commun.»

Le philosophe pense que «le citoyen est prêt à construire des mythes individuels, mais à portée collective. À l’image de ces concerts géants dans lesquels tant de spectateurs sont présents pour partager une aventure, à la fois solitaire et commune. L’individu se construit dans une communauté qui partage un environnement à la fois imaginaire et créateur de lien.»

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