La préhistoire continue à nous déterminer

13 novembre 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Pour Marcel Otte, la condition humaine ne doit rien au hasard. Ni à la biologie. Et encore moins à l’environnement qu’elle défie. La plus légère analyse rétrospective du phénomène humain aurait pu prévoir, expliquer et comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à détruire la planète. À nous entretuer.

Partisan d’une nouvelle alliance avec la nature, le professeur émérite de préhistoire à l’ULiège retrace 4 millions d’années d’évolution de l’humanité dans «Sommes-nous si différents des hommes préhistoriques?» aux éditions Odile Jacob. Analyse les mécanismes évolutifs. Décortique la rupture avec la nature.

«Sommes-nous si différents des hommes préhistoriques?», par Marcel Otte. Editions Odile Jacob. VP 24,90 euros, VN 19,99 euros
«Sommes-nous si différents des hommes préhistoriques?», par Marcel Otte. Editions Odile Jacob. VP 24,90 euros, VN 19,99 euros

La nature a perdu sa souveraineté

«L’ère actuelle n’est que le prolongement logique de notre longue trajectoire», juge le président de la commission Paléolithique supérieur d’Eurasie de l’Union internationale des sciences préhistoriques et protohistoriques. «La conscience de notre trajectoire est la meilleure façon de nous comprendre. Et de nous donner l’occasion d’infléchir le cours des choses. Les clés de notre avenir se situent dans l’intelligence de notre passé. L’humanité s’est faite par la pensée. Et c’est par elle qu’elle se sauvera.»

Le principal événement dans l’histoire humaine récente s’est produit quand la nature a perdu sa souveraineté. Lorsqu’elle a été mise au service de notre seule espèce. Ce basculement s’est développé pendant les millénaires du mésolithique, la période intermédiaire entre le paléolithique et le néolithique. À cette époque, l’habitat tend à se fixer. L’augmentation démographique crée de nouvelles contraintes.

Une nouvelle économie

«Une sorte de capitalisme nutritionnel s’enclenche alors partout sur la Terre», explique le préhistorien. «Là où de telles mutations sont inévitables par l’avancement des idées. Par les circonstances géographiques. Et par la densité démographique. Quand elle est contrôlée, la domestication provoque des surplus illimités, alimentant des populations toujours plus nombreuses, aux sources d’expansions spatiales perpétuelles. Curieusement, à ces contacts, chaque peuple resté sauvage jusque-là adopte progressivement cette nouvelle économie contre nature.»

Les conséquences de cette rupture d’alliance avec la nature n’apparaissent que lorsque les espèces transforment leur statut biologique. Dans nos régions, céréales et moutons échappent aux variations génétiques naturelles. Désormais, l’humanité forge son existence contre la nature. Une trajectoire qui se prolonge aujourd’hui.

«Comme un apprenti sorcier, l’homme ne réalise pas que ce phénomène lui échappe totalement», déplore le professeur Otte. «Les céréales récoltées intensivement ou les animaux parqués qui se reproduisent entre eux vont aboutir à de nouvelles espèces qui écarteront les autres au détriment de la qualité nutritive générale fournie par l’alimentation abandonnée. La démographie qui en découle n’aura de cesse d’augmenter sans fin. Poussant à davantage d’expansion territoriale. Et à la reproduction des mêmes attitudes de domination de toute nouvelle espèce sauvage rencontrée.»

«La notion même de sauvagerie va basculer dans celle de chaos primordial», poursuit le paléoanthropologue. «Elle laisse à la seule pensée humaine l’illusion de posséder les clés de son destin. Et lui accorde une sorte d’autorisation absolue afin de comprendre et d’influencer les forces de l’univers. Les sciences et les techniques modernes sont issues de cette conception.»

Vers une réconciliation

Le besoin d’une nouvelle ère se fait sentir… «Une partie seulement de notre esprit a pris les commandes de l’évolution humaine dans la surexploitation de toutes les ressources matérielles du monde vivant», relève le collaborateur scientifique à l’Institut de paléontologie humaine à Paris. «Nos rêves eux, nous portent vers son respect.»

Les êtres humains, pourraient-ils s’écarter de la trajectoire préhistorique? «Deux forces antagonistes se sont opposées perpétuellement au fil de notre longue histoire. La règle, rassurante, a toujours combattu l’imagination créatrice. Et ce combat a donné les pires excès, car il oppose en fait, la lucidité au rêve. L’intelligence lucide des mécanismes en action depuis 4 millions d’années possède justement l’immense avantage de nous forcer à réfléchir sur nos seules responsabilités. En nous donnant les moyens d’en infléchir le cours. Car, fort heureusement, la seule logique ne nous détermine pas totalement.»

«Au fil des millions d’années constitutives de notre humanité, le seul élément stable, cohérent et crucial a toujours été la référence à un système de valeurs placé au-dessus de toute condition de vie individuelle», conclut Marcel Otte. «L’axe principal de ce nouvel âge doit consister à retrouver l’harmonie et le respect avec les autres formes d’existence.»

 

 

 

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