La résilience est un antidestin

14 avril 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Science de la résilience », Christophe Leys et Pierre Fossion. Editions Odile Jacob. VP 19,90 euros, VN 15,99 euros

Pour aider les personnes blessées par la vie et pour outiller les professionnels de la santé mentale, le psychologue Christophe Leys et le psychiatre Pierre Fossion publient la «Science de la résilience» aux éditions Odile Jacob. Les deux enseignants à l’ULB choisissent Winston Churchill comme exemple de la force de résilience. L’homme d’État britannique avait une aptitude exceptionnelle à surmonter ses périodes de dépression sévère. À se relever après ses défaites politico-militaires.

«Dans ces moments de profond mal-être, il se réfugiait dans la peinture ou se consacrait à des travaux de maçonnerie», rappellent les chercheurs. «Ces épisodes dépressifs alternaient avec des périodes d’exaltation géniale. Le travail psychothérapeutique apporte également une foison d’exemples de résilience au quotidien.»

On peut échapper à la souffrance

Boris Cyrulnik, le neuropsychiatre et psychanalyste français qui a médiatisé le concept de résilience, constate que, depuis des années, les auteurs du livre «cherchent à découvrir les facteurs de protection interne acquis par le sujet et les ressources externes qui l’entourent afin de l’aider à voir le bout du tunnel. À retrouver l’énergie. À comprendre ce qui lui est arrivé pour tenter de surmonter le malheur.»

«La résilience, pour ces deux chercheurs-praticiens, est un antidestin», souligne le docteur honoris causa de l’UMons. «La souffrance existe, bien sûr, mais nous pouvons y échapper. Elle a mille déterminismes. Mais, dans un raisonnement systématique, il suffit de déclencher un processus pour que la reconstruction constante dure tant que dure la vie. Et donne le bonheur de reprendre un chemin de vie. Voilà ce que nous enseignent ces deux ouvriers-psys.»

Beaucoup d’inconnues demeurent

La résilience reste attachée à la notion de traumatisme. Mais, elle peut aussi être mobilisée pour faire face à l’adversité quotidienne. «Des études mettant en évidence son rôle dans la gestion du stress journalier pourraient dès lors être développées», pensent les thérapeutes.

Il reste encore beaucoup d’inconnues malgré les nombreuses recherches publiées depuis des années. Particulièrement sur la multiplicité des facteurs qui exercent une action décisive sur la résilience. L’identification des processus émotionnels liant les comportements favorisant la résilience au sentiment de mieux-être.

Pour Christophe Leys et Pierre Fossion, «l’importance de cette composante émotionnelle explique sans doute pourquoi, chez certains patients, la résilience apparaît soudainement, après de petits déclics ou de simples recadrages. Au détour d’une phrase ou d’un exercice à visée thérapeutique.»

«Alors que, pour d’autres, ce processus nécessite de nombreuses séances de thérapies. Voire le recours à plusieurs approches thérapeutiques différentes avant de trouver le modèle adapté aux attentes du patient.»

«Cette alchimie thérapeutique reste, malgré les connaissances accumulées, une immense boîte noire. Et le thérapeute demeure envers et contre tout un bricoleur, selon l’acception de l’ethnologue et anthropologue Lévi-Strauss.»

Trois approches thérapeutiques prometteuses

Parmi les interventions thérapeutiques qui semblent agir sur les mécanismes de la résilience, les praticiens détaillent trois approches prometteuses permettant de la renforcer. L’EMDR, l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, basée sur l’hypnose, pour surmonter les événements traumatiques. L’auto-compassion développée par la chercheuse étatsunienne Kristin Neff, axée sur la mise en perspective de ses échecs et la tolérance bienveillante de ses faiblesses. La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) centrée sur le langage et les émotions.

Christophe Leys et Pierre Fossion espèrent que la présentation de ces trois méthodes aiguisera l’intérêt pour les types de prises en charge actuellement utilisés.

La clé de la résilience

«Il semble établi que la clé de la résilience ou du sentiment d’aller bien ne réside pas dans un vécu exclusif d’émotions positives et dans l’abolition des ressentis négatifs éprouvés lors d’expériences de vie difficiles», notent les praticiens. «Il s’agirait plutôt de diminuer les ressentis négatifs extrêmes et inutiles comme les angoisses intenses. Et de trouver une raison d’être aux expériences émotionnelles et comportementales vécues.»

«Lorsqu’il n’y en a pas, comme lors de la survenue d’un événement indépendant de notre volonté, lui conférer à nouveau du sens ainsi que le rendre gérable et compréhensible nous aide à retrouver notre homéostasie.»

«Si des outils comme l’humour, l’accomplissement, les liens sociaux ou la spiritualité peuvent jalonner ce chemin, chaque trajet de résilience reste personnel. Et ne se résumera jamais à une recette applicable à tous. Nos patients sont aussi des bricoleurs, au sens noble du terme.»

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